Aller au contenu

Page:Stendhal - De l’amour, II, 1927, éd. Martineau.djvu/347

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
346
DE L’AMOUR

race. Jamais ils n’eurent le chagrin de faire moins d’effet sur l’héritière du château. L’extrême pâleur d’Ernestine, jointe à la beauté de ses traits, allait jusqu’à lui donner l’air du dédain. Les fats qui cherchaient à lui parler se sentaient intimidés en lui adressant la parole. Pour elle, elle était bien loin de rabaisser sa pensée jusqu’à eux.

Tout le commencement du dîner se passa sans qu’elle vît rien d’extraordinaire ; elle commençait à respirer lorsque, vers la fin du repas, en levant les yeux, elle rencontra vis-à-vis d’elle ceux d’un paysan déjà d’un âge mûr, qui paraissait être le valet d’un maire venu des rives du Drac. Elle éprouva ce mouvement singulier dans la poitrine que lui avait déjà causé le mot du curé ; cependant elle n’était sûre de rien. Ce paysan ne ressemblait point à Philippe. Elle osa le regarder une seconde fois ; elle n’eut plus de doute, c’était lui. Il s’était déguisé de manière à se rendre fort laid.

Il est temps de parler un peu de Philippe Astézan, car il fait là une action d’homme amoureux, et peut-être trouverons-nous aussi dans son histoire l’occasion de vérifier la théorie des sept époques de l’amour. Lorsqu’il était arrivé au château de Lafrey avec madame Dayssin, cinq mois auparavant, un des curés