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Page:Stendhal - Pages d’Italie.djvu/337

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anathèmes et au mépris des légitimes[1]. Des certificats d’une bonne façon de penser, et d’une conduite sans reproches à cet égard, étaient les seuls billets d’admission chez M. de Blacas à l’aide desquels on pouvait jouir de la gaieté lugubre de son salon. Tout consul ou tout ambassadeur qui avait à cœur les menus plaisirs de ses compatriotes avait soin de leur recommander comme premier devoir de prendre tout de suite parti dans l’un ou l’autre camp. Cette guerre de société se livrait avec une égale ardeur des deux côtés. Les glaces et les services en vermeil, pour ne rien dire des autres attraits de la princesse Borghèse, le dispu-

  1. Les exemples de ce genre sont nombreux. Un gentilhomme anglais de ma connaissance avait été présenté à l’ambassadeur et fort bien accueilli. Malheureusement il avait connu le prince de Canino en Angleterre pendant sa captivité, et il crut qu’une visite à son arrivée à Rome était une chose indispensable et qui se devait. Blacas fut instruit de cette démarche par sa gendarmerie en livrée : et, lorsque l’Anglais se présenta chez lui, on lui annonça qu’à l’avenir Son Excellence le dispensait de ses visites. Quelque chose d’approchant arriva plus tard à un noble irlandais. Tout le monde connaît la méprise du secrétaire Artaud. Monsignor Isoard, l’un des juges de la Rota, de la création, je crois, de Napoléon, avait été suivi jusqu’au palais du cardinal Fesch, on l’avait vu franchir la porte à une heure avancée, etc., etc., et en conséquence on lui refusa l’entrée chez l’ambassadeur, le lendemain soir. Un examen plus approfondi fit découvrir que ce n’était pas dans le palais qu’il était entré mais dans l’église de la Chiesa della Morte, la porte après. Cela faisait toute la différence du monde : Monsignor fut acquitté, le secrétaire réprimandé, et l’ambassadeur se mordit les lèvres. Le monde rit, et avec raison, de tous trois.