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Page:Stendhal - Pensées, II, 1931, éd. Martineau.djvu/183

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pensées

ne pouvons l’avertir qu’autant que sa passion fait commettre des erreurs à sa tête. Par exemple, nous pouvons bien lui dire avec raison : cette pêche que vous savourez avec tant de plaisir est empoisonnée. Mais si une femme qu’il adore et qui a la vérole depuis longtemps lui permet de coucher avec elle et que nous allions le tirer par la manche et lui dire : « hé ! prenez donc garde, elle a… la… vérole. » « Je le sais bien, nous répondra-t-il, mais si j’aime mieux coucher avec elle et l’avoir après ? » Qu’aurons-nous à répondre à cela ? Voilà une des plus fortes folies que la passion puisse faire faire à un homme.

Elle ferait pitié à cet excellent public et ne le ferait pas rire. Pas rire, parce qu’elle ne leur montrerait soudain dans eux nulle perfection à mesure que l’homme passionné développe sa passion. Ils voient bien qu’ils ne tendent pas au même bonheur, que cet homme n’a rien de commun avec eux.

Ce qui est ridicule, c’est de voir des hommes qui tendent au même bonheur que nous se tromper de route parce qu’ils manquent de quelque chose que nous avons, et que nous croyons ne pas pouvoir perdre tant que nous tendrons au même bonheur.