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Page:Stendhal - Rome, Naples et Florence, III, 1927, éd. Martineau.djvu/121

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était réduit à ne vivre que de glaces ou de biscuits. Un fond d’occupation et d’intérêt manquait toujours : c’est ce qui fait que vos magistrats étaient plus heureux que vos seigneurs, et qu’à Versailles on désirait toujours la guerre. Il me semble qu’on vivait trop en public. Il n’était pas permis de fermer son salon, même pour mourir. On n’avait pas d’idées des plaisirs domestiques ; aujourd’hui c’est le contraire. On oubliait trop que le manque de sympathie est le grand chemin du gouffre de l’ennui. Ce n’est pas que les Français manquent de sensibilité, comme l’ont dit quelques sots Anglais ; les grandes passions à part, vous êtes la nation de l’Europe la plus sensible. Mais alors la sensibilité de chacun était distraite, et, si j’ose m’exprimer ainsi, dépensée en petits paquets par le grand nombre de personnes qu’on voyait chaque jour. La sympathie est comme toute autre chose, elle s’épuise. L’homme qui a cent amis ne peut pas les aimer comme s’il n’en avait que deux. Le Français d’alors portait la plus grande franchise et le plus parfait abandon dans l’amitié ; il aimait de tout son cœur ses cent amis. Mais un homme qui a cent amis doit se résoudre à en voir chaque jour un ou deux très-malheureux. Il fallait prendre