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Page:Stendhal - Rome, Naples et Florence, III, 1927, éd. Martineau.djvu/221

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LA SOCIÉTÉ, À ROME

J’ai passé la soirée du jeudi avec le comte N***. C’est un homme très-pieux et d’infiniment d’esprit. Il me dit qu’il n’a plus retrouvé la Rome de sa jeunesse.

Il paraît que sous Pie VI, qui, à la cruauté près[1], a été le Louis XIV de ce pays-ci, on s’amusait beaucoup. La conversazione de la princesse Santa Croce, connue à Paris par ses diamants, et celle de notre aimable cardinal de Bernis étaient des centres d’activité. Les Romains sont bien loin de cet heureux temps.

La société est une fleur de plaisir qui ne peut naître que lorsque l’eau de la source troublée par la tempête des révolutions, a déposé le limon de l’esprit de parti et repris peu à peu sa première transparence. Le pape a hérité de l’excellente armée de Napoléon. Les officiers, fiers des grandes choses qu’ils ont vues, n’ont plus ce respect servile pour le moindre monsignore. Les princesses romaines préfèrent un colonel à un cardinal. Les sarcasmes des philosophes donnent des mœurs à ceux-ci. Leurs maîtresses ne sont plus citées dans la Gazette à la main[2]. Le peuple n’a plus cette aveugle soumission, parce qu’il n’y a plus de faste.

  1. Voyez Rulhière, Histoire de la révocation de l’édit de Nantes.
  2. Comme du temps de de Brosses et du cardinal Albani, 1740