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Page:Stendhal - Vies de Haydn, de Mozart et de Métastase, 1928, éd. Martineau.djvu/169

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l’on aime le mieux la musique. Les grands compositeurs que Naples a produits vécurent vers le commencement du dix-huitième siècle.

« Il est naturel de distinguer les chefs d’école qui ont produit des révolutions dans toute la musique, de ceux qui n’ont cultivé qu’un seul genre de composition.

« Parmi les premiers, nous mettrons, avant tous les autres, Alexandre Scarlatti, qui doit être considéré comme le fondateur de l’art musical moderne, puisqu’on lui doit la science du contre-point. Il était de Messine, et mourut vers 1725.

« Porpora mourut pauvre, à quatrevingt-dix ans, vers 1770. Il a donné au théâtre un grand nombre d’ouvrages qui sont regardés comme des modèles. Ses cantates leur sont encore supérieures.

« Leo fut son disciple, et surpassa son maître. Il mourut à quarante-deux ans, en 1745. Sa manière est inimitable ; l’air :

Misero pargoletto[1],

  1. Cette situation est une des plus touchantes du théâtre de Métastase, et Leo l’a rendue divinement. Timante. jeune prince qui se croit fils du farouche Démophon, roi d’Épire, est marié secrètement depuis deux ans à Dircée ; il en a un fils. Démophon découvre ce mariage, et trouve dans les lois de son royaume le moyen de les faire périr tout deux ; on les conduit à la mort ; mais son âme cruelle est touchée par les prières du peuple : il leur pardonne. Au moment où Timante vole dans les bras de Dircée, un ami fidèle lui donne la preuve évidente que Dircée est fille de Démophon.
    Plein d’horreur pour le crime involontaire dont il s’est rendu coupable en épousant sa sœur, au désespoir d’être obligé de renoncer à Dircée, il voit en lui un nouvel Œdipe, il demeure immobile et plongé dans une sombre horreur.
    Dircée, qui ne peut comprendre cette étrange froideur, le supplie de parler, au nom de leur amour ; son horreur redouble : elle lui présente son fils, en le suppliant du moins de jeter un regard sur cet enfant qui le caresse : le malheureux Timante ne peut plus contenir sa douleur, il embrasse son fils, et l’air commence :

    Misero pargoletto,
    Il tuo destin non sai :
    Ah ! non gli dite mai
    Qual era il genitor.


    Come fu un punto, oh Dio !
    Tutto cambio d’aspetto !
    Vol foste il mlo diletto,
    Vol siete il mio terror.

    c’est-à -dire

    Trop malheureux enfant,
    Tu ignores ton destin :
    Ah ! ne lui dites jamais
    Quel fut son triste père.


    Grand Dieu ! combien en un instant
    Tout a changé d’aspect pour moi !
    Vous fûtes un jour le bonheur de ma vie,
    Et vous en êtes le tourment.

    À chaque répétition de ces paroles que Timante adresse tantôt à son fils, tantôt à Dircée, Leo a su peindre une nouvelle nuance de son profond désespoir.