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Page:Stendhal - Vies de Haydn, de Mozart et de Métastase, 1928, éd. Martineau.djvu/256

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l’anéantissement de tout ce qui respire, et même des plantes, pendant la grande chaleur d’un jour d’été, est parfaitement bien rendu. Ce tableau, très vrai, finit par un silence universel. Le coup de tonnerre qui commence la tempête vient rompre ce silence. Ici Haydn est dans son fort : tout est feu, cris, rumeur, épouvante. C’est un tableau de Michel-Ange. Cependant la tempête finit, les nuages se dissipent, le soleil reparaît, les gouttes d’eau dont sont chargées les feuilles des arbres brillent dans la forêt, une soirée charmante succède à l’orage, la nuit vient, tout est silencieux ; de temps en temps seulement le gémissement d’un oiseau nocturne et le son de la cloche éloignée,

Che pare il giorno pianger che si muore,

viennent rompre le silence universel.

Ici l’imitation physique est portée aussi loin qu’elle peut aller. Mais cette peinture tranquille fait une fin peu frappante pour l’été, après le morceau terrible de la tempête[1].

  1. Je prie qu’on me permette une répétition. J’ai envie de citer une lettre que j’envoyais en original à mon ami, en même temps que celle-ci. Elle fut écrite en français par une aimable chanoinesse de Brunswick * que nous pleurons aujourd’hui.
    Elle finissait ainsi une lettre sur Werther, qui, comme on sait, est né à Brunswick, et était le fils de M. l’abbé de Jérusalem. Elle décrivait exactement, à ma demande, l’espèce de goût que Werther avait pour la musique.
    « ..... La musique étant l’art qui peint le mieux les nuances et dont les descriptions suivent ainsi le plus loin les mouvements de l’âme, je crois distinguer la sensibilité à la Mozart de la sensibilité à la Cimarosa.
    « Les figures comme celle de Whilhelmine de M*** et de l’ange du tableau du Parmesan que j’ai dans ma chambre ** me semblent annoncer de ces êtres dont la force est surmontée par la sensibilité, qui, dans leurs moments d’émotion, deviennent l’émotion elle-même. Il n’y a plus de place pour autre chose ; le courage, le soin de la réputation, tout est, non pas surmonté, mais banni. Tel serait, je crois, le joli ange dont je vous parle chantant aux pieds d’une marraine adorée :

    Voi che sapete.

    « Les peuples du Nord me semblent être les sujets de cette musique : Which is their queen.
    « Quand vous connaîtrez mieux l’Allemagne, et que vous aurez rencontré quelques-unes des malheureuses filles qui, chaque année, y périssent d’amour, ne riez pas, monsieur le Français, vous verrez le genre de pouvoir que notre musique exerce sur nous. Voyez, le dimanche soir, à Hantzgarten, et dans ces jardins anglais où toute la jeunesse des villes du Nord va se promener le soir des jours de fête ; voyez ces couples d’amants, prenant du café à côté de leurs parents, tandis que des troupes de musiciens bohêmes jouent avec leurs cors leurs valses et leur musique lente et si touchante ; voyez leurs yeux se fixer ; voyez-les se serrer la main par-dessus la petite table, et sous les yeux de la mère, car ils sont ce qu’on appelle ici promis ; eh bien ! une conscription enlève l’amant, sa promise n’est pas au désespoir, mais elle est triste ; elle lit des romans toute la nuit ; peu à peu elle est attaquée de la poitrine, et elle meurt sans que les meilleurs médecins aient trouvé un remède à ce mal-là. Mais rien ne paraît à l’extérieur. Vous l’aviez vue quinze jours auparavant chez sa mère, vous offrant du thé ; vous ne l’aviez trouvée que triste ; vous demandez de ses nouvelles : « La pauvre une telle ! vous répond-on ; elle est morte de chagrin. » Ici une telle réponse n’a rien d’extraordinaire. « Et le promis, où est-il ? — À l’armée, mais on n’a plus de ses nouvelles. »
    Voilà les cœurs que Hændel, Mozart, Boccherini, Benda, savent toucher.
    Ces femmes brunes et pleines d’énergie que produit le Midi de l’Europe doivent aimer la musique de Cimarosa. Elles se poignarderaient pour un amant vivant, mais ne se laisseraient pas mourir de langueur pour un infidèle.
    Les airs de femmes de Cimarosa et de tous les Napolitains annoncent de la force même dans les moments les plus passionnés. Dans les Nemici generosi, qu’on donna à Dresde il y a deux ans, notre Mozart eût fait une chose divinement tendre de

    Non son villana, ma son dama.

    Cimarosa a fait de cette déclaration un petit air léger et rapide, parce que la situation l’exigeait ; mais une Allemande n’eût pas prononcé ces paroles sans larmes…
    * Une note manuscrite de Stendhal sur l’exemplaire Mirbeau indique qu’il s’agit ici de Mme Philippine de Bulow, la belle sœur de son ami Strombeck, qu’il avait connue à Brunswick. N. D. L. E.
    ** C’était une copie de la Madonna al longo collo, qui est au musée de Parts, n° 1070. Il s’agit de l’ange qui est à la droite de Marie et qui regarde le spectateur.