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Page:Stern - Mes souvenirs, 1880.djvu/126

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Outre sa timidité qui paraissait la faire beaucoup souffrir, Fanny Sébastiani avait une certaine lenteur d’intelligence dont s’impatientait fort la vive Mendelssohn, et qui lui rendait difficile de suivre dans les classes la parole rapide de nos jeunes maîtres. — Comme, tout au contraire, je la saisissais au vol, et que je finissais de prendre mes notes quand à peine ma pauvre voisine commençait d’écrire les siennes, il arriva le plus simplement du monde que je fis double

    pas réfléchir et chercher les influences cachées, quand, dans le cercle des relations intimes, on compte, comme je le fais, un nombre effrayant d’actions violentes et inexpliquées, inexplicables selon l’ordre apparent et rationnel des choses ? Dans ce très-petit cercle, ma sœur Auguste, qui met fin à ses jours sans avoir laissé deviner à qui que ce fût son dégoût de la vie ; son fils Léon, qui meurt à Athènes d’une mort restée mystérieuse ; un précepteur de mes filles, Philippe Kaufmann, écrivain et poëte distingué, qui se brûle la cervelle, en 1846, au bois de Boulogne ; le comte Ladislas Teleky, Charles Didier, Prévost-Paradol, qui se donnent la mort sans avoir confié à personne leur désespoir ; le prince Félix Lichnowsky, massacré dans un tumulte révolutionnaire ; le comte de Schônborn, atteint mortellement, dans une rencontre sans cause sérieuse ; l’abbé Deguerry, pris comme otage et fusillé par les hommes de la Commune de Paris en 1871 ; et d’autres encore : belles jeunes filles, artistes célèbres ; et moi-même, qui écris ces lignes, avertie par une prédiction, par des songes extraordinaires, d’une destinée que rien n’annonçait et qui me semblerait encore aujourd’hui à moi-même tout à fait incompréhensible, si je n’y sentais pas ces influences mystérieuses dont j’ai parlé !

    Ach ! wir kennen uns wenig,
    Denn es waltet in uns ein Gott. »
    dit le poëte Hölderlin.