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Page:Stern - Mes souvenirs, 1880.djvu/151

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jeune âge. Il n’a jamais connu la puissance de douleur qu’il a exercée sur moi dans les heures cruelles où j’ai senti qu’en dépit de son amitié si vive aussi et si tendre il ne pourrait pas être pour sa sœur le salutaire et bon génie qu’elle invoquait alors, et que cette sagesse fraternelle à qui déjà, d’instinct, je demandais secours pour l’avenir, n’aurait point d’action sur ma vie[1].

  1. Dans les dernières années de sa vie, mon frère m’exprimait des regrets semblables. Il se plaisait à me rendre ce témoignage que je lui avais toujours marqué non-seulement une vive tendresse, mais encore, en tout ce qui avait dépendu de moi, la déférence que dans les anciens temps l’on croyait devoir à l’aîné de la famille. Il en paraissait très-flatté, connaissant comme il le faisait mon indépendance d’esprit et de caractère. De son côté, il apportait dans nos relations une aménité, une bonne grâce exquise, une sorte de galanterie fraternelle qui charmait tous ceux qui nous voyaient ensemble. Bien qu’en tout, caractère, opinion, penchants, habitudes d’esprit, nous fussions très-opposés, une chose nous était commune, la douceur des manières, l’ouverture d’esprit, la bienveillance dans les jugements, le désir naturel de nous complaire et de nous faire valoir. Bien qu’il fût un peu timide d’esprit, il prenait goût aux hardiesses du mien, et se bornait à dire, en souriant, que la nature apparemment s’était trompée en faisant de lui le frère et de moi la sœur. Les rôles changés, ajoutait-il, tout eût été au mieux, aucune difficulté ne fût survenue, et nos destinées à tous deux eussent été parfaites.