Aller au contenu

Page:Stern - Mes souvenirs, 1880.djvu/181

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avoir reconnu, sans doute, en moi je ne sais quel obscur levain de protestantisme, avec une sincérité d’esprit à outrance, sur laquelle il ne pouvait avoir qu’une influence indirecte, le père Varin s’appliqua, de toute sa souplesse, à détourner, à tromper mes curiosités intellectuelles. Il éluda mes questions ; m’exhortantà me défier des pièges de Satan, du désir de savoir et du besoin de comprendre, écartant ou voilant, dans l’explication des mystères, tout ce qu’il voyait être inacceptable à mon bon sens, ou bien incompatible avec la fierté de mes instincts, il me jeta au pied du crucifix, dans les bras de Marie, dans ce qu’il appelait le sein de Dieu, où toute raison devait s’abîmer.

Une autre influence encore, involontaire celle-là, mais pénétrante et persuasive à son insu, assoupit les curiosités de mon esprit : ce fut la tendre affection que me témoigna et m’inspira madame Antonia. Madame Antonia était la sœur cadette de notre maîtresse générale, madame Eugénie de Gramont. Elle faisait la classe supérieure et présidait aux soins de la chapelle. Jamais je n’ai rencontré aucune femme qui m’ait paru plus attrayante, de ce mystérieux attrait que le poëte germanique appelle l’Éternel féminin. Madame Antonia n’était pourtant pas belle, du moins de cette beauté qui se peut définir ; ses traits n’avaient rien de régulier, son visage était couturé par la