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Page:Stern - Mes souvenirs, 1880.djvu/201

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déjà pleine d’ivraie ! Esprits de vérité et de vie, Homère, Sophocle, Dante, Shakespeare, Spinoza, Herder, Goethe, et vous-même, Bossuet, Pascal, en qui la foi est grandiose et nourrice de mâles vertus, que n’eussiez-vous pas été pour moi, rencontrés plus tôt, quand l’essor de mon esprit était encore libre et fier, quand ma vive intelligence ne s’était point encore prise et misérablement débattue aux filets de l’oiseleur !

Cependant, sauf l’incident de madame Antonia, dont ces dames se hâtèrent d’effacer la trace, mon existence au couvent n’avait rien qui me chagrinât, tout au contraire. Je m’y attachais chaque jour davantage et parfois à la pensée des dangers du monde, dont ces dames et le Père Varin nous faisaient une vague, mais effrayante peinture, sans nous dire de quelle nature étaient ces dangers, mon imagination prenait peur et me montrait la vie religieuse, sa réclusion, son silence, comme un abri dans le sein de Dieu, où je devais demeurer.

On m’avait confié, ou peu s’en fallait, la direction de la musique de la chapelle, je présidais au choix des morceaux, je jouais de l’orgue, je chantais les soli, l’O Salutaris, le Sanctus, le Veni Creator, le Magnificat : c’était un intérêt très-grand dans mes journées, c’était une double satisfaction donnée à mon âme très pieuse et à mon organisation très-musicale.