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Page:Stern - Mes souvenirs, 1880.djvu/336

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prit la main vivement, me la serra avec force, et se penchant vers moi : « Madame d’Agoult, j’ai peur », murmura-t-elle avec un accent sinistre et en me regar dant d’un air qui me fit peur à mon tour. Ses joues qui pâlissaient sous son fard, son sein agité qui soulevait ses diamants en feu, son étreinte fébrile, son œil étincelant me restent dans la mémoire intimement unis aux accords de Guillaume Tell et aux premiers pressentiments de la révolution qui devait éclater à un an de là.

On sait comment cette année fut remplie : le cabinet formé par M. de Polignac, l’adresse des 221, la dissolution de la Chambre, l’entrée au ministère de l’intérieur de M. de Peyronnet, la prise d’Alger, l’irritation publique menaçante, l’ouverture des collèges électoraux, etc. À peine ministre, M. de Polignac avait appelé à Paris son jeune secrétaire d’ambassade pour lui confier les fonctions de sous-directeur de l’une des directions du ministère des affaires étrangères ; mais ce n’était pas, cela va sans dire, pour le mettre ni de près ni de loin dans ses secrets. Mon frère, d’ailleurs, était à ce moment distrail de la chose publique par les négociations et les apprêts de son prochain mariage avec mademoiselle de Montesquiou-Fezensac. Le jour de la bénédiction nuptiale, quand je vis, pour la première fois, le malheureux ministre qui allait, à si peu de temps de là, précipiter son roi, la dynastie et lui-même dans un