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Page:Stern - Mes souvenirs, 1880.djvu/379

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auprès de ses amis, trop sévères à son égard. « C’est un artiste, » ajouta-t-elle d’un ton qui signifiait : « il ne faut pas trop le prendre au sérieux. » Quand je pris congé d’elle, elle me fit promettre de venir souvent à l’Abbaye. Je n’y retournai plus qu’une fois. J’avais vu à sa conversation qu’il n’était pas temps de dire la vérité, du moins telle que je la voyais, sur madame de Staël ; qu’il y avait dans le cercle de l’Abbaye-au-Bois une Corinne de convention et selon le monde, très-inférieure à l’autre, à la grande, à la vraie Corinne, mais à laquelle on ne pourrait toucher sans offenser beaucoup de personnes fort respectables. N’ayant aucun motif pour le faire, je renonçai à ce travail[1]. Madame Récamier mourut peu après. Elle me laissait un souvenir agréable. Pourtant je n’avais pu, en la voyant et en l’entendant, m’empêcher de faire cette réflexion qui n’était pas tout à son avantage : c’est qu’il ne fallait rien apparemment de bien extraordinaire pour avoir le salon le mieux fréquenté de Paris et pour charmer les grands hom-

  1. On m’a conté récemment une particularité assez piquante touchant ce travail projeté et abandonné. Quand les Éloges de madame de Staël (1849) furent soumis aux académiciens, il y en eut un, le n° 12, qui parut supérieur aux autres. On allait lui décerner le prix, lorsque Alfred de Vigny crut reconnaître que ce travail était de moi ; il le dit et vanta mon style avec une très-grande vivacité. Aussitôt les immortels se ravisèrent ; et, dans la crainte de donner le prix à Daniel Stern, ils en privèrent très-injustement un excellent écrivain, et le plus académique du monde : M. Caro.