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Page:Stern - Mes souvenirs, 1880.djvu/406

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mêler les cartes diaboliques, en attachant sur moi des yeux pénétrants et moqueurs : « Ho ho ! me dit-elle, voici quelque chose de nouveau et de fatal. Vous éprouvez un sentiment auquel on ne répondra pas. » Je voulus nier ; elle insista. Elle me parla d’esprit rare, de charme infini; elle me fit un portrait que je n’oserais retracer ici, mais qui n’était pas méconnaissable. Alors, me voyant si complètement deviné, je me tus, en me bornant à lui demander s’il n’y avait donc aucun espoir, si quelque carte n’avait pas été oubliée, si la combinaison était sans erreur. La vieille se remit à calculer avec une infernale complaisance. Hélas! madame, le résultat fut absolument le même : un sentiment profond, passionné, sans nul espoir, trouble mon présent et détruit mon avenir.

» Vous le voyez, madame, en rapprochant cette prédiction de celle qui vous a été faite, j’ai sujet doublement d’accuser le sort ; car il est dit que l’homme dont vous partagerez la destinée sera célèbre, d’où je conclus que celui dont vous repousserez l’amour restera obscur. Eh bien, madame, j’ose vous l’avouer, cette gloire annoncée à l’homme que vous daignerez aimer, je la rêvais, je l’ambitionnais, je me sentais assez fort pour la conquérir; et maintenant qu’il m’est prédit que je ne dois pas être aimé, je retombe du haut de mes rêves et de mes ambitions dans la tristesse et le découragement, le néant du cœur et de l’esprit.


Agréez, etc.