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Page:Stern - Mes souvenirs, 1880.djvu/55

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dérai moi-même et mon œuvre d’un tout autre œil. J’eus les éblouissements de la création poétique. Le souvenir m’en est présent comme si c’était hier. Je fus véritablement ravie, du ravissement de l’artiste, quand il croit avoir exprimé son idéal. Quoi d’étonnant ? N’avais-je pas dès lors, pour mes perspectives, pour mes ombrages, pour mes grottes en rocailles, pour mes rustiques figulines, un idéal, tout aussi bien que Bernard Palissy ou notre grand Lenôtre !

Cependant mon éducation commençait. Ma mère et ma bonne allemande, qui me parlaient toujours dans leur langue, me faisaient lire des contes de Grimm, réciterde mémoire des fables de Gellert ou des monologues de Schiller. Sur un piano de Vienne, j’apprenais les notes de la gamme dans les sonates de Haydn ou de Mozart. On m’expliquait dans l’Orbis pictus, si cher aux enfants allemands, les merveilles du Cosmos. Et ainsi, de plus en plus, sous l’influence maternelle, j’aurais été me germanisant, ce qui, avec mes yeux bleus, mes cheveux blonds, mon air rêveur n’aurait pas eu de quoi surprendre, si mon père n’y eût mis bon ordre en me retenant de son bord. Mon père n’avait, quant à lui, rien gardé de sa longue émigration, qu’une pointe de persiflage à l’endroit des Allemands. Il était d’un naturel tout gaulois : ni rêverie, ni exaltation, ni métaphysique, ni musique. De dévotion, moins encore : ce n’était pas alors le