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Page:Stern - Mes souvenirs, 1880.djvu/67

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au train du monde. Elle connaissait le bruit imperceptible que faisait, en glissant sur l’épais tapis de Turquie, la porte du salon quand c’était lui qui l’ouvrait. Au plus vif de l’entretien, elle prévoyait l’instant où il allait prendre congé d’elle, et son front s’en attristait soudain. Enfin, depuis que son mari avait cessé de vivre, la vieille dame de Bethmann, die alte Frau von Bethmann, c’est ainsi qu’on l’appelait dans Francfort, rapportait à son fils tout son orgueil et ce culte de la maison, oublié de nos jours, que j’ai vu autour de moi religieusement obseivé, vivant encore dans le vieux sang de la noblesse française et dans le sang, noble à sa manière, de la vieille bourgeoisie germanique.

Par bonheur, l’enfant des prédilections de mon aïeule n’abusa jamais, ce qui lui eût été facile, de son ascendant. Mon oncle Moritz était une nature généreuse, un caractère ouvert et joyeux, qui voulait par tout le contentement. Incapable de nuire, empressé à servir, en bon, en véritable aîné qu’il était, les intérêts de ses frères et de ses neveux, il s’employait incessamment à pallier les torts, à prévenir les froissements, à conseiller l’indulgence. Possédant à la fois le génie des affaires et les dons les plus brillants de l’homme du monde, l’oncle, on ne le nommait pas autrement dans la famille, ajoutait au pouvoir des richesses qui s’accroissaient chaque jour entre ses mains