Aller au contenu

Page:Stern - Mes souvenirs, 1880.djvu/69

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

distributions surannées, mon oncle y recevait avec grandeur la plus grande compagnie européenne[1].

Il avait exigé de sa mère qu’elle eût une véritable suite : dames de compagnie[2], demoiselles de service, lecteur, médecin et chapelain, rien n’y manquait, avec une voiture toujours attelée dans la cour, en cas qu’elle voulût inopinément sortir ou faire ramener chez lui quelqu’un de ses hôtes. On donnait au Baslerhof de grands repas, dîners, goûters, soupers sans fin. Les vins du Rhin, les faisans de la Bohème, où ma grand’-mère possédait des domaines seigneuriaux, les primeurs de ses serres, les mets exquis apprêtés par des cuisiniers français de premier talent, y flattaient le

  1. Cette compagnie se composait alors des souverains de passage à Francfort, de leurs représentants à la Diète, de princes médiatisés et non médiatisés, de maréchaux illustres par le gain ou la perte de batailles épiques. On y voyait le prince Primat, le duc de Dalberg, le prince de Metternich, le prince de Hardenberg, le prince Worontzow, le comte de Tettenborn, les Humboldt, Frédéric Schlegel, la vieille comtesse de Stolberg, mère de la princesse d’Albany, la princesse de Vaudémont, la comtesse de Custine, la comtesse de Pappenheim, et les plus riches familles francfortoises : les Brentano, les Guaita, les Schlosser, les Metzler, les Gontard, les Jassoy, etc.
  2. La première dame de compagnie de ma grand’mère n’était rien de moins que la veuve d’un éclievin de Francfort. La bonne dame, économe et prévoyante, profitait, au dessert, de la cécité de ma grand’mère pour fourrer dans ses larges poches toute une provision de biscuits, de macarons, de pains d’épices, etc. Nous autres enfants, nous nous divertissions fort à la prendre en flagrant délit et à la déconcerter par nos rires, dans ses entreprises.