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Page:Stern - Mes souvenirs, 1880.djvu/76

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Mais je reviens à mes premiers étonnements, au Baslerhof. Tout y était vraiment magnifique, et bien fait pour éblouir les yeux d’un enfant accoutumé aux simplicités de la vieille noblesse française et aux mœurs campagnardes d’un gentilhomme chasseur ; mais je n’étais pas d’un tempérament facile à éblouir, et dès lors, tout enfant que j’étais, il me paraissait déjà très-simple, et comme indifférent d’habiter un palais ou une mansarde, d’être nourrie d’ortolans ou de pain bis, n’y regardant que la compagnie et le contentement du cœur. Plus tard, même après expérience faite des divers états de la fortune, la vie opulente ayant été pour moi toujours la vie ennuyée, j’ai eu beaucoup de peine à ne pas confondre ces deux notions : tristesse et richesse ; d’où il est résulté chez moi un détachement des biens extérieurs, assez rare, je crois, toujours, mais à peu près introuvable chez les personnes de mon temps et de mon sexe.

Je sentais aussi confusément dans les réunions de famille du Baslerhof, et jusque dans les caresses qu’on nous y faisait, à ma mère, à mon frère et à moi, je ne sais quoi d’indéfinissable, qui nous laissait étrangers. Ma grand’mère n’avait pas encore pardonné, après vingt ans, la hardiesse de sa fille à lui désobéir pour épouser mon père. Son orgueil bourgeois s’irriritait à la pensée des fiertés aristocratiques qu’elle nous supposait à tous trois. Ce titre de comtesse