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Page:Sterne - Œuvres complètes, t5-6, 1803, Bastien.djvu/275

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LA FILLE D’OPÉRA.


J’ai toujours eu pour maxime que les biens de ce monde n’ont de valeur que par l’usage qu’on en fait. J’avois dans ma poche deux paires de gants d’amour que j’avois à peine essayés. — Voyant que vous n’étiez pas encore arrivé, mon cher Eugène, je me rendis à l’Opéra, et j’y vis mademoiselle Lacour danser à ravir. J’étois au parterre, et de ma place je découvris les plus jolies jambes du monde : je doute qu’il en soit sorti d’aussi parfaites de dessous le ciseau de Protogènes ou de Pratixèle. Ce fut un sujet de conversation entre l’abbé de M… et moi. L’abbé me promit de me présenter à cette aimable danseuse, et me tint parole. Au sortir du spectacle je conduisis mademoiselle Lacour à son carosse, et j’eus l’honneur de lui donner la main pour y monter. Sachant que j’étois anglois, elle serra la mienne d’une manière si affectueuse, que je sentis l’émanation passer du bout de mes doigts à mon cœur avec une rapidité qu’il est plus aisé d’imaginer que de décrire.

Elle nous donna un petit souper très-élégant, et l’abbé se retira promptement après