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Page:Sterne - Œuvres complètes, t5-6, 1803, Bastien.djvu/520

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l’exil, la perte de la réputation et des amis, la mort des enfans, gages les plus chers du bonheur humain, ne font pas les mêmes impressions sur tous les tempéramens. Vous verrez un homme souffrir sans soupirer, ce qu’un autre dans l’amertume de son ame pleurera toute sa vie. Une parole trop prompte, un regard dur perceront plus profondément une ame sensible, qu’une épée celle qui ne l’est point.

Si ces réflexions sont vraies pour ce qui regarde les infortunes, elles le sont encore quant aux jouissances. Nous sommes différemment formés ; les choses font des impressions diverses sur nous ; nos goûts sont différens ; il arrive, soit par la force de l’éducation et de l’habitude, soit par l’impulsion du caractère, que les mêmes avantages et les mêmes plaisirs ne produisent jamais le même bonheur. Cette sensation diffère dans chaque homme selon sa complexion et son tempéramment ; ainsi les événemens heureux qui raviront l’homme bilieux, et l’homme sanguin, seront reçus froidement par le flegmatique. Les calculs sur le bonheur et le malheur des hommes sont tellement sujets à mécompte, que des riens, légers comme l’air, font chanter des hymnes de joie à cer-