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Page:Sterne - Œuvres complètes, t5-6, 1803, Bastien.djvu/90

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LA LETTRE.
Amiens.


La fortune n’avoit pas favorisé La Fleur ; il n’avoit pas été heureux dans ses faits de chevalerie, et depuis vingt-quatre heures, à-peu-près qu’il étoit à mon service, rien ne s’étoit offert pour qu’il pût signaler son zèle. Ce pauvre garçon brûloit d’impatience. Le domestique du comte de L… qui m’avoit apporté la lettre, lui parut une occasion propice, il la saisit. Dans l’idée qu’il me feroit honneur par ses intentions, il le prit dans un cabinet de l’auberge, et le régala du meilleur vin de Picardie. Le domestique du Comte, pour n’être pas en reste de politesse, l’engagea à venir avec lui à l’hôtel. L’humeur gaie et douce de La Fleur mit bientôt tous les gens de la maison à leur aise vis-à-vis de lui. Il n’etoit pas chiche, en vrai françois, de montrer les talens qu’il possédoit ; en moins de cinq ou six minutes, il prit son fifre ; la femme-de-chambre, le maître-d’hôtel, le cuisinier, la laveuse de vaisselle, les laquais, les chiens, les chats, tous, jusqu’à un vieux singe, se mirent aussitôt à danser.