Page:Stevenson - L'Île au trésor, trad. Savine-Lieutaud.djvu/31

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Et ma pièce mensuelle de quatre pence était payée cher par ces abominables hallucinations. Mais tout en étant terrifié par l’idée du marin unijambiste, j’avais beaucoup moins peur du capitaine lui-même que tous ceux qui le connaissaient. Il y avait des nuits où il prenait beaucoup plus de grog au rhum que sa tête n’en pouvait supporter. Parfois, il s’asseyait alors et chantait de vieilles et sauvages chansons de mer, sans se soucier de personne, mais d’autres fois, il commandait des verres pour tout le monde, et il forçait la compagnie tremblante à écouter ses histoires, ou à répéter en chœur ses refrains. Souvent, j’ai entendu la maison secouée par « Yo, ho, ho, et une bouteille de rhum ! » tous les voisins chantant comme s’il y allait de leur vie, avec une frayeur mortelle, chacun hurlant plus fort que l’autre, pour éviter d’être remarqué, car dans ces moments, il était un compagnon des plus tyranniques. Il claquait sa main sur la table pour obtenir un silence complet. Il pouvait entrer dans une violente colère sur une simple question, ou quelquefois parce qu’on n’en posait pas, jugeant qu’on n’écoutait pas son histoire. Il ne permettait pas davantage que quiconque quittât l’auberge, avant que l’ivresse lui eût imposé le besoin de dormir et qu’il eût été se coucher en titubant. Ses histoires terrifiaient les gens par-dessus tout. C’étaient d’affreuses histoires de pendaisons, de trappes qui retombaient, de tempêtes en mer, de l’île de la Tortue, d’actions insensées et de sites sauvages du continent espagnol. D’après ses propres récits, il avait dû passer son

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