Aller au contenu

Page:Stevenson - L’Île au trésor, trad. André Laurie.djvu/135

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

comme un coq sur la crête d’un mur, quand soudain, rejetant sa main droite en arrière, il s’arrêta. Quelque chose siffla comme une flèche en fendant l’air. Je sentis un coup, puis une douleur aiguë, et je me trouvai cloué au mât par l’épaule…

Dans la douleur affreuse et la surprise de ce moment, — je puis à peine dire que ce fut par ma volonté, et je suis certain que ce fut sans viser, — mes deux pistolets partirent, puis s’échappèrent de mes mains.

Ils ne tombèrent pas seuls.

Avec un cri étouffé, le misérable lâcha les haubans qu’il tenait de la main gauche, et, la tête la première, s’abattit dans la mer…


XXVII

« PIÈCES DE HUIT ! »


La chute du schooner sur son flanc gauche avait eu naturellement pour conséquence d’incliner les mâts de telle sorte qu’au lieu d’être perpendiculaires à la surface de la mer ils fissent avec elle un angle aigu. Aussi, mon poste élevé dans la grande vergue se trouvait-il directement au-dessus de l’eau. Hands, arrivé moins haut que moi, était tombé entre le navire et la verticale de mon corps. Je le vis remonter un instant, dans un bouillonnement d’écume sanglante ; puis il s’enfonça pour toujours. Quand la tranquillité de l’eau fut rétablie ; je pus le voir gisant sur le sable fin, dans l’ombre projetée par le flanc du navire. Un ou deux poissons frôlèrent son corps, et le frémissement de l’eau lui rendit l’apparence de la vie, comme s’il avait encore tenté de se soulever. Mais il était mort et bien mort, et devait servir de pâture aux poissons, à la place même où il avait voulu me mettre…

À peine eus-je acquis cette certitude, que je me sentis saisi d’un malaise et d’une terreur inexprimables. Mon sang coulait tout chaud sur mon épaule. Le poignard de Hands, qui m’avait cloué au mât, brûlait comme un fer rouge. Et cependant ce n’était pas la douleur physique qui me faisait trembler, — c’était l’horreur de me dire que si mes forces m’abandonnaient, j’allais tomber du haut de la vergue dans cette eau verte et tranquille, à côté du cadavre…

Un instant cette vision m’épouvanta au point que je fermai les yeux pour résister au vertige, en me retenant aux vergues avec une telle force, que les ongles m’entraient dans la paume des mains. Peu à