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Page:Stevenson - L’Île au trésor, trad. Varlet.djvu/112

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L’ÎLE AU TRÉSOR

sait comme une manufacture. Je devais me tenir ferme au galhauban, et tout tournait vertigineusement sous mes yeux, car, si j’étais assez bon marin lorsqu’on faisait route, rester ainsi à danser sur place comme une bouteille vide, est une chose que je n’ai jamais pu supporter sans quelque nausée, en particulier le matin, et à jeun.

Cela en fut-il cause, ou bien l’aspect mélancolique de l’île, avec ses bois grisâtres, ses farouches arêtes de pierre, et le ressac qui devant nous rejaillissait avec un bruit de tonnerre contre le rivage abrupt ? En tout cas, malgré le soleil éclatant et chaud, malgré les cris des oiseaux de mer qui pêchaient alentour de nous, et bien qu’on dût être fort aise d’aller à terre après une aussi longue navigation, j’avais, comme on dit, le cœur retourné, et dès ce premier coup d’œil je pris en grippe à tout jamais l’Île au Trésor.

Nous avions en perspective une matinée de travail ardu, car il n’y avait pas trace de vent, il fallait mettre à la mer les canots et remorquer le navire l’espace de trois ou quatre milles, pour doubler la pointe de l’île et l’amener par un étroit chenal au mouillage situé derrière l’îlot du Squelette. Je pris passage dans l’une des embarcations, où je n’avais d’ailleurs rien à faire. La chaleur était étouffante et les hommes pestaient furieusement contre leur besogne. Anderson commandait mon canot, et au lieu de rappeler à l’ordre son équipage, il protestait plus fort que les autres.

— Bah ! lança-t-il avec un juron, ce n’est pas pour toujours.

Je vis là un très mauvais signe ; jusqu’à ce jour, les hommes avaient accompli leur travail avec entrain et bonne humeur, mais il avait suffi de la vue de l’île pour relâcher les liens de la discipline.