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Page:Stevenson - L’Île au trésor, trad. Varlet.djvu/285

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LE CAPITAINE SILVER

des pièces, mais tellement plus abondante et variée que je crois n’avoir jamais eu plus de plaisir qu’à les assortir.

Pièces anglaises, françaises, espagnoles, portugaises, georges et louis, doublons, doubles guinées, moïdores et sequins, aux effigies de tous les rois d’Europe depuis un siècle, bizarres pièces orientales marquées de signes qu’on eût pris pour des pelotons de ficelle ou des fragments de toiles d’araignée, pièces rondes et pièces carrées, pièces avec un trou au milieu, comme des grains de collier, — presque toutes les variétés de monnaie du monde figuraient, je crois, dans cette collection ; et quant à leur nombre, elles égalaient sûrement les feuilles d’automne, car j’en avais mal aux reins de me baisser, et mal aux doigts de les trier.

Ce travail dura plusieurs jours : chaque soir une fortune se trouvait entassée à bord, mais une autre attendait son tour pour le lendemain ; et de tout ce temps-là les trois mutins ne donnèrent pas signe de vie.

À la fin — ce devait être le troisième soir — je flânais avec le docteur sur la montagne à l’endroit où elle domine les basses terres de l’île, lorsque du fond des épaisses ténèbres le vent nous apporta un son qui tenait du chant et du hurlement. Un seul lambeau en parvint à nos oreilles, et le silence primitif se rétablit.

— Le ciel leur pardonne ! dit le docteur ; ce sont les mutins.

— Et tous ivres, monsieur, prononça derrière nous la voix de Silver.

Silver, je dois le dire, jouissait d’une entière liberté, et quoiqu’on le rabrouât chaque jour, semblait se considérer de nouveau tout à fait comme un subalterne favorisé de privilèges et d’égards.