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— Non ? dis-je. C’est pourtant le mien !

— Et, par suite, le mien ! » répondit-il.

De nouveau un silence. Nous fîmes ainsi une centaine de pas ; et soudain le sentier, par un détour, nous ramena dans le clair de lune. Je remarquai que la valise de mon compagnon paraissait lourde ; et j’en tirai l’idée d’un nouvel expédient.

« Une nuit de saison ! fis-je. Que diriez-vous d’une petite course ? J’ai les pieds gelés.

— Bien volontiers ! » répliqua mon homme.

Sa voix semblait assurée, ce qui ne me plut guère. Mais il n’y avait pas d’autre moyen à tenter, sauf la violence, à laquelle il serait toujours assez tôt d’avoir recours si besoin était. Je me mis donc à courir, et lui derrière moi il se retrouvait à la même distance. Malgré son âge et le poids de sa valise, il n’avait pas perdu un cheveu de terrain. J’en avais assez !

Et puis, courir aussi vite était contraire à mes intérêts. Nous ne pouvions pas continuer longtemps sans arriver quelque part. À chaque minute nous risquions de nous trouver devant la porte de quelque écuyer Merton, ou bien au milieu d’un village dont le constable n’aurait pas trop bu, ou encore entre les mains d’une patrouille. Il n’y avait plus autre chose à tenter ; je devais en finir sur-le-champ ! Je regardai autour de moi et jugeai l’endroit bien choisi : pas une lumière, pas un bruit, rien que des champs, des fossés et quelques arbres dépouillés. Je m’arrêtai et fixai sur mon compagnon un regard irrité.

« Assez de cette plaisanterie ! » déclarai-je.

Il s’était retourné et me dévisageait en face, très pâle, mais sans le moindre signe de frayeur.

« Je suis tout à fait de votre avis ! me dit-il. Vous m’avez essayé à la course ; vous pouvez maintenant m’essayer au saut en hauteur. L’aventure n’en finira pas moins d’une façon fâcheuse pour vous ! »

Je fis siffler mon bâton autour de ma tête.

« Je suppose que vous savez comment elle finira ! dis-je.