Page:Stevenson - Saint-Yves.djvu/231

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Nous avions cependant perdu beaucoup de temps ; le soleil avait fini de se coucher, les lanternes scintillaient le long des rues, et déjà nous entendions l’écho de la voix sonore d’un veilleur de nuit. Heureusement j’avais remarqué, en sortant de la diligence, une boutique de traiteur qui m’avait semblé à la fois suffisamment propre et pas trop encombrée. Nous nous y rendîmes donc, et, en raison de l’heure tardive, nous eûmes l’extrême plaisir de nous y trouver seuls. Mais à peine avions-nous commandé notre repas que la porte se rouvrit, et qu’entra un jeune homme long et mince, avec un léger mouvement de roulis à chacun de ses pas. Il promena son regard autour de lui et s’approcha de notre table.

« Je vous souhaite le bonsoir, nobles et révérends seigneurs nous dit-il. Permettrez-vous à un vagabond, à un pèlerin — le pèlerin de l’amour, si je puis dire ! — de jeter l’ancre, pour un instant, sous l’abri de votre navire ? J’ignore si vous êtes comme moi, mais j’éprouve une aversion passionnée pour la pratique bestiale des repas solitaires !

— Vous êtes le bienvenu, monsieur, répondis-je, autant du moins que je puis prendre sur moi de jouer le rôle d’un hôte dans un lieu public ! »

Il parut surpris de l’élégance de mon élocution, fixa sur moi un œil embrumé, et s’assit en face de nous.

« Monsieur, dit-il, vous n’êtes point sans avoir quelque teinture des belles-lettres, à ce que je vois ! Qu’allons-nous boire, monsieur ? »

Je répondis que j’avais déjà commandé un pot de porter.

« Eh bien ! fit-il, je crois que je vais m’en offrir, moi aussi, un modeste pot ! Je suis, pour le moment, dans un état de santé assez précaire. Une étude trop assidue a échauffé mon cerveau, une marche trop prolongée a fatigué mes… ma foi, je crois bien que ce sont surtout mes yeux !

— Vous avez marché très loin ? demandai-je.

— Loin n’est pas précisément le mot, répliqua-t-il ; ce