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— Voilà un sentiment dont je ne saurais vous blâmer, dis-je. Je l’ai éprouvé moi-même.

— Nos troupes sont… Il n’y a pas au monde, n’est-ce pas, de troupes aussi bonnes que les nôtres ?

— Je puis tout au moins vous en dire une chose, répondis-je c’est qu’elles ne se distinguent point dans les retraites. Oui, je sais par expérience que la retraite n’est pas leur fort !

— Je crois que tel est, en, effet, notre caractère national ! » s’écria le pauvre jeune homme, orgueilleusement.

Je fus pris d’une terrible envie de lui dire que, dans ce cas, j’avais eu bien souvent l’occasion d’assister à la fuite de son « caractère national », et que, souvent j’avais eu l’honneur de lui faire la chasse. Mais je me retins, sachant qu’avec les femmes et les enfants il n’y avait point de péché à aller jusqu’au bout de la flatterie ; et j’employai au contraire plus d’une heure à raconter des traits de bravoure ou de générosité anglaises que je crois bien me rappeler que j’inventais au fur et à mesure.

« Vous me surprenez beaucoup ! dit enfin Ronald. Tout le monde assure que les Français manquent de véracité. Or, je trouve que votre véracité est admirable. Je trouve que vous avez un noble caractère. Et je vous suis très reconnaissant de votre bonté pour… pour un homme encore si jeune ! acheva-t-il en rougissant ; et il me tendit la main.

— J’espère vous revoir bientôt, lui dis-je.

— Oh ! certes, désormais vous pouvez en être sûr, répondit-il ; je… je dois vous avouer que je n’ai point permis à Flora…, je veux dire à miss Gilchrist…, de venir aujourd’hui. Je désirais d’abord vous connaître mieux moi-même. Je suppose que vous n’en serez pas offensé ; vous savez combien on doit prendre garde avec les étrangers ! »

J’approuvai sa prudence et, là-dessus, il s’en alla, me laissant en proie à des sentiments opposés, car j’avais honte d’avoir ainsi abusé de son ingénuité, je me repro-