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marche presque ininterrompue, nous nous installâmes pour la nuit sur une petite butte verdoyante d’où jaillissait un mince ruisseau. Notre souper fini, nous nous étions couchés, mais nous ne dormions pas encore, lorsque le grognement sourd d’un des chiens nous mit en alerte. Aussitôt nous nous redressâmes tous les trois ; puis, tous les trois, avec la même idée, nous nous couchâmes de nouveau, mais cette fois en tenant prêts nos gourdins. On accepte aisément les aventures quand on se trouve être tout ensemble un étranger et un prisonnier évadé, un jeune homme et un vieux soldat. Sans avoir la moindre idée des causes de la querelle, ni de sa nature, ni des conséquences probables d’une rencontre, j’étais aussi résolu à prendre la défense de mes deux compagnons que je l’avais été, naguère, à me placer à mon rang un matin de bataille.

Tout à coup, trois hommes sortirent des buissons et s’élancèrent sur nous. Nous nous trouvâmes assaillis avant presque d’avoir eu le temps de nous relever ; et, un moment après, chacun de nous eut à tenir tête à un adversaire que la nuit tombante nous permettait à peine de voir. Comment alla le combat dans les autres quartiers, je ne suis pas en position de vous le décrire, ayant eu assez à faire de mon propre côté. Car le coquin qui m’était échu pour ma part était extrêmement agile et maniait son arme avec une habileté étonnante. Dès le premier assaut, il avait pris le dessus ; sans cesse j’étais forcé de rompre ; et ce n’est qu’au dernier moment, d’un mouvement de défense à peine réfléchi, que je m’avançai d’un pas et le frappai à la gorge. Il s’abattit comme une quille et ne bougea plus.

Sa chute fut comme le signal de la cessation du combat. Aussitôt les autres belligérants se séparèrent ; nos ennemis purent librement soulever et emporter leur camarade, toujours immobile. J’eus ainsi l’occasion de voir que cette sorte de guerre n’échappait pas entièrement aux lois de la chevalerie et avait plutôt le caractère d’un