Page:Stirner - L’Unique et sa propriété.djvu/9

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

incompatibilité entre son rôle d’éducateur et le caractère subversif de son œuvre. Il fit alors diverses entreprises commerciales qui échouèrent. Il voulut, entre autres choses, établir à Berlin un service central pour la distribution du lait. Cette entreprise eut le sort des autres. Il vécut encore quelques années assez misérablement et mourut en 1856 d’une piqûre de mouche charbonneuse.

Peu de renseignements sur son tempérament. Ses notes d’université le donnent comme élève « travailleur et appliqué ». Il fut très aimé comme professeur pour la clarté de son enseignement et la douceur de son caractère. Enfin il joua un personnage assez effacé dans le milieu politique et littéraire où il fréquenta. Et son livre fut pour tous une surprise.

Si la vie de Stirner est obscure, les origines de son livre sont bien fixées. Il nous dit lui-même comment il le composa. C’est dans la société des « Libres », qui se réunissait chez Hippel, cabaretier de Berlin, que l’idée lui en vint. Auditeur presque toujours silencieux, c’est là qu’il recueillit au hasard des discussions philosophiques et politiques les éléments sur lesquels il devait exercer sa critique. Car le fond de son œuvre est la critique des écrits des frères Bauer et de Feuerbach, qu’il écrivit par fragments dans l’ordre chronologique où se publièrent ces travaux. Les critiques de Stirner tournant autour d’un point unique, il fut amené sans y avoir pensé à en tirer un livre.

La société des « Libres » n’avait ni statuts, ni cérémonial, ni président et n’imposait aucune obligation à ses membres. En conséquence, le monde le plus divers y passa. À côté des poètes Freiligrath, Herwegh, Hoffmann von Fallersleben qui abandonnent le lied et l’élégie pour la satire politique, on y rencontre les pères du collectivisme, Marx et Engels, peut-être aussi Bettina von Arnim, la Bettina de Goethe, qui sous le titre habile « Ce livre appartient au roi » fait une critique aiguë du régime personnel. Mais ceux qui formaient le noyau réel de la société furent Bruno et Edgar Bauer, Arnold Ruge et enfin Stirner. Ceux-là donnent à la Société sa note véritable. Les « libres » ont quelque parenté avec les « libertaires » d’aujourd’hui,