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Page:Sue - Atar-Gull et autres récits, 1850.djvu/76

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CHAPITRE XXV.

Prédictions.


Trois fois j’ai consulté mademoiselle Lenormant. C’est une folle, mais elle dit de singulières et étonnantes choses.
L’empereur Alexandre.

Je ne puis nier de surprenants effets de la seconde vue.
Walter Scott. — Ivanhoe.


— Eh bien ! vieux caïman, tu veux donc faire un coup de gueule avec un ancien ? dit Bouquin en entrant avec précaution dans le réduit du calier. — Mais sacredieu ! ajouta bouquin, il fait un noir dans ta cassine, un noir, que si l’on y bidonnait on ne saurait pas si on a bu deux bouteilles ou si on en a bu quatre. Mais puisque tu parles de boire, dit-il au calier qui n’en parlait pas du tout, alors affale ici un bidon de n’importe quoi ; car j’ai une toux sèche que le major m’a dit de soigner, et tu saisis que ce n’est pas dans mon intérêt, mais dans celui du major que nous chérissons tous comme un père, que je te demande à bidonner ; car, avant tout, il faut adoucir mon estomac qui est souffrant, et ça lui fera honneur, au major.


L’inspection.

Et, comme preuve de son état maladif, maître Bouquin fit trembler, frissonner, résonner la Salamandre au bruit retentissant de ses vastes poumons. Maître Buyk, absorbé dans ses calculs, ne répondit rien à Bouquin ; mais, allongeant le bras, il déposa près de son ami un glorieux bidon plein de vin. Ce silence était trop du goût de Bouquin pour qu’il songeât à l’interrompre, et l’on entendit un bruit sourd et mesuré comme celui d’une fontaine qui coule, preuve de l’empressement de Bouquin à mettre à couvert la responsabilité médicale du vieux Garnier. Quand Bouquin eut vidé à peu près le bidon, s’adressant au calier :

— Ah çà, vieux, que diable me veux-tu ? — Écoute, Bouquin, dit l’autre avec une imperturbable gravité. Nous n’avons pas tiré l’horoscope du nouveau commandant, et ça se doit, puisque nous allons peut-être mettre à la voile aujourd’hui. — C’est juste, dit Bouquin après avoir bu de nouveau, et en faisant claquer sa langue contre son palais. — Je t’ai donc fait descendre, Bouquin, afin d’avoir des renseignements sur lui. Va, je t’écoute, et tâche de te rappeler par quel vent il est venu à bord. — Par une brise de sud-ouest à décorner les bœufs. — Va toujours, dit le calier. — Pour lors, c’est un grand, taillé en mât d’hune, qui porte des chaussons de lisière, une redingote jaune, et une casquette en poil, comme le portier de l’arsenal. — Et il vient f… comme ça sur le pont de la Salamandre, sur le pont d’une brave corvette de guerre ! dit le calier exaspéré. — Pour ce qui est de ça, vois-tu, Buyk, je sens comme toi que c’est humiliant pour la corvette et pour l’équipage, qui n’est pas dressé aux redingotes jaunes. — C’est un navire perdu, dit sérieusement le calier. — Tu crois ! — Et le lieutenant, qu’est-ce qu’il dit de cela ? — Dame, il rage ; d’autant plus que la vieille bête n’est pas commode et qu’elle a des dents. Ah ! non, elle n’est pas commode avec ses chaussons de lisière ; faut voir comme il tortille ça avec son air bon enfant. Et l’autre jour j’entendais le lieutenant dire très-haut, comme pour que tout le monde l’entendît, que le commandant était un très-bon, mais un très-bon marin, seulement qu’il n’en avait pas l’air. Et au fait il a plutôt l’air de l’oncle à défunt Giromon qui donne de l’eau bénite à la porte de Saint-Louis. — C’est étonnant. — Et que le maître de timonerie, qui a vu un point que le commandant a fait, dit que c’est crânement bien entendu. Et ça nous passe, nous autres, car, si tu l’avais vu arriver à bord, il avait l’air de ces bourgeois qui viennent en rade pour voir les navires, et qui vous demandent un tas de bêtises. Pourtant c’est un vieux rageur, un dur à cuire ; faut pas s’y frotter. — Son nom ? — Et c’est un noble avec ça ; un rentrant, le marquis de Longetour. — Ainsi, dit le calier, son nom commence par un L, il est venu par un vent de sud-ouest, et il est arrivé à bord ?… — Un vendredi. — Un vendredi ! — Et, au lieu d’aller d’abord vers l’arrière, il a tout de suite été du côté de l’avant. — Diable ! — Et, quand on a hissé le pavillon, la drisse a fait trois nœuds. — Oh ! — Et c’était treize jours avant la trombe, par laquelle le passager que nous menons à Smyrne est arrivé… Tu sais, ce bel homme qui a l’air si fier ? — Et sept jours avant que ce pauvre Giromon ait été assassiné par ces gueux de mangeurs d’huile. — Sept jours… Ah ! j’oubliais : le jour même où M. Paul est tombé dans le panneau du faux pont et a manqué se tuer.


Misère se mit à genoux et tendit le dos.

À ces mots, maître Buyk fit un bond furieux sur son coffre.

— Assez, assez ! s’écria-t-il ; assez, Bouquin ! Pauvre corvette, pauvre Salamandre ! Vois-tu, Bouquin, ce marquis-là, c’est la mort de la corvette ; et, en disant de la corvette, je dis de M. Paul ; car l’un ne peut aller sans l’autre, puisqu’il est né le jour où elle a été lancée à l’eau. Oui, c’est sa mort à ce pauvre M. Paul, qui, je vous l’ai dit cent fois, est son ange gardien. Oh ! pauvre Salamandre, dit tristement Buyk.