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Page:Sue - Atar-Gull et autres récits, 1850.djvu/85

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blanches au souffle indécis d’une brise expirante ! alors que la mer le balance comme un enfant au berceau ! alors que les étoiles brillent sur le fond bleu des vagues comme autant de paillettes d’or tombées du ciel ! alors que la lune sillonne au loin ses reflets d’une lumière éblouissante et nacrée !

Et le silence de ces nuits, que je l’aime !… Que j’aime le sourd et mélancolique murmure de la mer qui dort ! Que j’aime à entendre l’aspiration éloignée du cachalot qui vient jouer sur les ondes et lancer de brillants jets d’eau tout blanchissants d’écume ! Que j’aime le sillage harmonieux du navire, qui bruit faible et doux comme des feuilles sèches sous les pas légers d’une femme !


L’aveu.

Que j’aime à voir la Salamandre s’avancer silencieuse au milieu de ces imposantes harmonies de la mer et des cieux ! Que j’aime à voir, sur le couronnement de la corvette, Alice, vêtue de blanc, qui seule, immobile au milieu des ombres transparentes de la nuit, laisse errer au loin son humide regard !

La journée de la veille lui paraissait un songe. Et elle y rêvait.

— Paul m’aime ! pensait-elle. Il m’aime, il me l’a avoué. Et cet aveu, qui doit toujours irriter, m’a-t-on dit, ne m’a laissé qu’une impression douce et calme. — Aimer ! n’est-ce donc que cela ? — Est-ce que je l’aime, lui ? Oh ! oui ! je le crois, car sa figure est si douce ; il est si bon, si brave, si noble ; il aime tant son père ! Il se souvient tant de sa mère ! Quand il m’en parle, sa voix est si touchante, si pénétrée !… Et me parler de mère, à moi, c’est remuer tout ce que j’ai de tristesse et de mélancolie dans l’âme. Et puis cet anneau, c’était à sa mère. Il me l’a donné, parce qu’il m’aime et que je l’aime ; — car enfin je l’aime, — oui. Et je pensais pourtant que ce mot bouleversait tout notre être. Je croyais que ce mot changeait notre vie, nos sens, changeait tout, tout, jusqu’à notre langage ; tout, jusqu’à l’air que nous respirions, jusqu’à la nature que nous voyions. Et pourtant je ne sens en moi aucun changement : je vis, je respire comme avant ; c’est le même ciel, ce sont les mêmes eaux. C’est toujours moi, je me touche, c’est toujours moi… Alice. — Et je l’aime ! — oui, car pour lui je n’ai que des vœux de bonheur. Si je pense à son avenir, c’est pour prier Dieu de le lui rendre calme et prospère… Et hier, combien je souffrais de le voir chagrin ! de voir ce pauvre enfant, si pur et si heureux, souffrant et abattu par l’influence de…

Et ici Alice s’arrêta, rougit, et resta un moment pensive. Puis elle reprit :

— Oui, oui, je l’aime, je le vois bien, en comparant ce que j’éprouve pour les autres à ce que je ressens pour lui. Enfin ce jeune enseigne est beau comme Paul, brave comme lui ; mais il n’a rien dans le cœur, mais c’est une âme vulgaire et commune… Aussi, bonheur ou malheur pour lui, peu m’importe. Sa voix m’est indifférente, et j’aime la voix de Paul. Il ne me laisse ni un souvenir ni un regret ; au lieu que j’aime à voir Paul, à être près de lui… J’aime sa présence, à lui, tandis que…

Ici Alice s’arrêta de nouveau ; car, par une crainte inexplicable, deux fois elle avait fui devant une idée à laquelle elle revenait involontairement.

— Eh bien ! après tout, reprit-elle comme surmontant un sentiment de honte envers elle-même, pourquoi donc reculerais-je devant cette pensée ? Eh bien ! oui… il est un être que je hais ; sa vue me fait mal, sa voix m’irrite ; je le hais, oh ! oui, je le hais !… Et que je voudrais aimer Paul autant que je le hais, lui !

Et ses joues étaient brûlantes, et elle respirait à peine.

— Oh ! c’est la haine qui change le cœur mieux que l’amour ! C’est la haine que j’ai pour lui qui m’a changée ! Quand je pense… à lui, ce ciel me paraît triste et sombre ; cette mer, lugubre, Enfin, si moi, moi craintive et timide, si je pense à lui, c’est pour le maudire. Et pourtant, que m’a-t-il fait ? Je ne sais. Mais ses égards me fatiguent, sa politesse exquise et froide me blesse et me torture. Il est si haut, si fier, lui, et Paul est si bon ; et puis ses éternels sarcasmes contre les hommes, les femmes ; ses plaisanteries amères sur le bonheur et l’amour. Que me fait tout cela, à moi ? Et ses regards ont une expression si sévère… Car je le regarde… et c’est malgré moi : c’est en me maudissant lui et moi. Et sa figure pâle et triste me suit partout… depuis que je l’ai vu, depuis que je le hais !


Le rat passé au grès.

Oui, il était là, appuyé sur cette échelle, quand je suis montée sur le pont pour la première fois. — Il avait l’air sombre et pensif ; il m’a saluée profondément, et jamais je n’oublierai l’expression de ses grands yeux, qui se sont arrêtés un instant sur moi… pour ne plus s’y fixer depuis. Jamais je n’oublierai l’expression de ce regard long, arrêté, profond, — que j’ai senti presque physiquement…

Et, je me le rappelle, Paul fut étonné comme moi de ce qu’il y avait