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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/100

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— Sans doute.

— Or, m’est avis que si, demain matin, le mirliflore s’en allait dare-dare, aussi vite qu’il est venu… et surtout s’il ne revenait plus, ça serait un fier débarras… hein ! mon Charles ?

— Certes, puisque sa présence prolongée chez nos amis est mon seul souci.

— Eh bien, mon fieu, il faut faire filer le gringalet ; c’est pas plus malin que ça.

— Et par quel moyen ?

— Voilà le moyen. Figure-toi que, quand j’étais une jeunesse, le propriétaire du château de Pierrefitte avait pour fils l’un de ces muscadins parisiens qui venaient aux fêtes du village nous voir danser, souvent même faire les gentils avec nous ; j’étais alors la promise de mon gros Jean-Louis ; je l’aimais de tout mon cœur, ce qui ne m’empêchait pas de regarder avec plaisir, et tant seulement pour le coup d’œil, le gentil Parisien quand il venait à la danse le dimanche, et d’écouter ces babioles qui flattent toujours une jeune fille ; ça m’amusait, mais ça endêvait Jean-Louis. Aussi, un dimanche soir, après la danse, pendant laquelle le muscadin m’avait fait cadeau d’un superbe mirliton tout doré, tout enrubanné, que Jean-Louis m’avait ensuite demandé et que je lui avais donné de bon cœur, voilà qu’il suit le Parisien à pas de loup, le rattrape dans un chemin creux et lui dit : « Vous êtes bien gentil ; mais si vous vous avisez de venir encore folichonner aux alentours de Geneviève et de la gratifier de flûtes à l’oignon comme celles-là… je vous les ferai avaler, vos mirlitons… entendez-vous ? sans compter que je vous flanquerai une fameuse raclée… » Le muscadin n’a plus remis les pieds à la danse, et nous deux Jean-Louis, nous avons fièrement ri ! — Voilà mon idée de jeunesse, mon Charles, ça peut te servir… Tu es courageux comme un lion… tu tires l’épée comme un César… Eh bien, moi, à ta place, je dirais demain matin à mon freluquet, entre quatre yeux : « Vous me déplaisez ici… Faites-moi donc le plaisir de filer et de ne plus revenir, ou sinon !… » Et voilà… Or il filera, mon fieu, sois-en sûr, il filera, et tu en seras pour jamais débarrassé.

— Ma bonne Geneviève, les moyens violents sont les derniers auxquels il faut recourir ; et, d’ailleurs, pour mille raisons, un duel heureux ou malheureux ne pourrait avoir, dans les circonstances présentes, que de funestes résultats.

— À la bonne heure ; ce que j’en disais, tu comprends, c’était pour le bien de la chose. Mais alors que faire ? — reprit la