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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/146

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cristaux de roche et une petite pièce d’eau qui se trouvait au fond de cette caverne. San-Privato témoigna le désir de la visiter, — si toutefois, ajouta-t-il, elle était abordable à une espèce de Parisien aussi peu montagnard que lui.

Jeane le railla gaiement de sa frayeur anticipée ; mais Maurice rassura son cousin en affirmant (et il parlait très-sincèrement, en cela qu’il jugeait la chose en homme dès longtemps habitué à braver les abîmes), en affirmant, disons-nous, que l’abord de la grotte de Tréserve n’offrait pas le moindre danger, puisque Jeane l’avait déjà visitée plusieurs fois avec lui et les métayers du chalet.

Il fut donc convenu, selon le secret espoir de San-Privato, qu’ensuite du déjeuner, les trois jeunes gens se rendraient à la grotte. Charles Delmare, craignant pour Jeane et pour Maurice, en ce moment si complétement revenus l’un à l’autre, la funeste influence d’Albert, s’il demeurait seul en tiers avec eux, demanda d’être de la partie ; mais M. Dumirail, impatient de s’ouvrir en toute confiance à un ami sur le moral duquel il comptait pour vaincre les vagues défaillances qu’il pressentait, le pria de laisser les trois jeunes gens aller seuls, parce qu’il désirait causer avec lui pendant que madame Dumirail ferait visiter en détail à sa belle-sœur la laiterie du chalet et autres dépendances ; assez inquiet de l’expression assombrie des traits de M. Dumirail et de son anxiété à peine dissimulée, Charles Delmare dut renoncer à son projet, ne voulant pas laisser pénétrer le motif qui l’engageait à accompagner Jeane et ses deux cousins à la grotte de Tréserve ; tous trois s’y rendirent à l’issue du déjeuner, tandis que M. Dumirail, laissant ensemble sa femme et madame San-Privato, s’éloignait avec Charles Delmare, sous le prétexte d’aller admirer le magnifique panorama que l’on découvre du haut des plateaux gazonnés du col de Tréserve. Mais bientôt, par un revirement d’esprit en apparence très-étrange, et cependant très-explicable, M. Dumirail, au moment de s’ouvrir à son ami, dont il appréciait le ferme bon sens, recula devant cette confidence, craignant, par amour-propre, de paraître faible et déraisonnable aux yeux de son ami ; de sorte qu’après un entretien fort insignifiant qui trompa l’attente de Charles Delmare, celui-ci, quittant M. Dumirail, se dirigea rapidement vers la grotte de Tréserve, dans l’espoir de rejoindre San-Privato et les deux fiancés.