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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/148

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cacher plus longtemps, Maurice, que je suis profondément affligé de ta conduite envers moi.

— Que dis-tu, Albert ?

— Il faut, vois-tu, briser la glace avant qu’elle soit devenue assez dure, assez épaisse, pour refroidir, séparer à jamais, peut-être, des personnes faites pour s’aimer, pour s’estimer, ― reprit San-Privato d’un ton pénétré. — Aussi, je te le dis en toute sincérité, Maurice, j’ai à t’adresser un reproche.

— Un reproche, à moi ?

— Oui. Et ce reproche vous atteindra aussi, ma cousine, — répondit San-Privato jetant à la jeune fille, sans être remarqué de Maurice, un regard à la fois si menaçant et si passionné, qu’elle tressaillit.

Son cœur de nouveau se serra, ses angoisses, naguère calmées, se réveillèrent ; elle ne trouva plus Albert ridicule, il lui parut redoutable.

Elle s’efforça néanmoins de dominer son émotion, et répondit, affectant l’ironie :

— Vraiment, vous avez à m’adresser un reproche, mon cher cousin ?… Mon Dieu, que je suis donc confuse, navrée, désolée, désespérée d’avoir eu le malheur d’encourir votre mécontentement !

— Vous raillez, ma cousine… et c’est à tort, — dit San-Privato. — On doit toujours regretter le chagrin immérité que l’on cause, même aux indifférents, et, croyez-moi, je ne suis, je ne serai jamais indifférent à ce qui vous intéresse : aussi ai-je été péniblement affecté de voir Maurice et vous, ma cousine, me garder le secret de votre bonheur, manquer ainsi de confiance envers moi, me traiter en étranger ; oui, dites… pourquoi m’avez-vous caché votre prochain mariage ?

— Notre mariage ! — reprit Maurice avec un sourire de doux orgueil, — d’où sais-tu ?…

— Ma mère m’a tout à l’heure instruit de cet heureux événement, dont mon oncle lui a fait part en montant au chalet.

— Cher Albert, — reprit cordialement Maurice, — ne crois pas que nous ayons manqué de confiance envers toi ; notre discrétion nous était commandée par nos parents ; ils se réservaient d’instruire ta mère de notre prochaine union.

— Merci de cette assurance, mon ami ; je suis heureux de croire que ton silence envers moi, au sujet d’un acte si important, avait pour cause une réserve nécessaire dont mon amitié se blessait sans raison, — répondit Albert serrant la main de son cousin.