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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/170

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certitude de notre prochain mariage, quelque tendresse que je t’aie témoignée, mon cœur a été toujours oppressé, j’ai toujours été mécontente de moi-même, mal à l’aise avec toi, parce que je te cachais quelque chose. Cette dissimulation est au-dessus de mes forces… elle me pèse… elle me navre… elle est un crime envers toi. J’ai honte de m’être tue si longtemps ; tu vas tout savoir, je serai sincère, tu seras indulgent.

— Prenez garde ! — dit vivement Charles Delmare, pénétrant l’intention de sa fille et redoutant l’inopportunité de la révélation qu’il prévoyait ; — ah ! prenez garde !…

— Ne craignez rien… cher maître, — reprit Jeane ; — l’instinct de mon cœur me guide, il est sûr.

— Encore une fois, — répéta Charles Delmare avec insistance, — je vous en conjure… prenez garde à ce que vous allez dire…

— Regardez cet homme… — ajouta Jeane en montrant du geste San-Privato, dont le trouble devenait visible, — regardez cet homme ; ma franchise l’effraye malgré son audace… Vous voyez donc bien que j’ai raison de m’ouvrir à Maurice dans toute la sincérité de mon âme.

— Jeane, je ne sais si je veille ou si je rêve, — reprit Maurice d’une voix pleine d’angoisse ; ― tu t’accuses de mensonge envers moi ; tu me signales Albert comme ton complice ; tu réclames mon indulgence : mon Dieu ! que signifie tout cela ? Par pitié, explique-toi !

— Te souviens-tu que, tantôt, en traversant les prés de Treserve, nous nous entretenions, toi et moi, avec M. San-Privato ? Il prétendait lire le secret de nos pensées, il est venu à parler de l’impression qu’il avait causée sur moi au premier abord.

— Sans doute, et tu l’as interrompu, le suppliant de ne pas ajouter un mot de plus, parce que m’as-tu dit, plus tard, tu rougissais de voir devinée par lui l’injuste répulsion qu’il t’inspirait.

— Eh bien ! Maurice, je mentais…

— Jeane !

— Je mentais, te dis-je, je mentais.

— Mais alors, — balbutia Maurice d’une voix altérée, — si tu mentais, si ce n’était pas de la répulsion que t’inspirait Albert, mon Dieu ! qu’était— ce donc ?

À cette question de Maurice, sa fiancée, malgré la fermeté de sa première résolution, éprouva un moment d’hésitation, sentant la gravité de la réponse qu’elle allait faire, et pendant un moment garda le silence ; mais, puisant dans son irréprochable pureté,