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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/175

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un vague attrait qu’en ce moment je ne puis plus même m’expliquer, ce jour-là, Maurice, tu me trouveras aussi fière de porter ton nom, aussi heureuse d’être ta compagne… que je l’aurais été si, selon nos vœux et ceux de ton père et de ta mère…

La jeune fille n’acheva pas, l’émotion la suffoquait ; elle cacha dans son mouchoir son visage baigné de larmes. Maurice, attendri, éperdu, se jeta aux pieds de la jeune fille, et, saisissant une de ses mains, qu’il couvrit de pleurs et de baisers :

— Jeane ! tu es ma femme… tu seras la compagne de ma vie ! Je t’aime plus que je ne t’ai jamais aimée !… Si mon estime, mon respect pour toi pouvaient augmenter, la noble sincérité de ton aveu les augmenterait encore. Moi, reprendre ma parole ! retarder le jour de notre union ! moi, te reprocher… une préférence d’un moment, préférence presque involontaire, avouée si loyalement et à cette heure remplacée par un sentiment de mépris écrasant et de légitime aversion !

— Excellent et naïf cousin ! — se disait San-Privato, tandis que Maurice continuait avec une exaltation croissante, encouragé par les regards attendris de Charles Delmare :

— Crois-tu donc, ma Jeane bien-aimée, crois-tu donc mon amour assez peu profond pour être arraché de mon cœur au moindre souffle contraire ? Est-ce que cet amour n’a pas ses racines jusque dans notre adolescence, alors que tu étais pour moi la plus tendre des sœurs ? Est-ce que, depuis trois ans, cette affection, grandissant avec nous, n’est pas devenue plus vive encore en se transformant ? Et, pour la briser, il suffirait d’un accès de jalousie aveugle, d’un mouvement de stupide amour-propre ?

— Bien, bien, cher enfant ! — dit Charles Delmare ravi des conséquences de l’aveu de Jeane, aveu dont il s’était d’abord alarmé. — Ah ! Maurice, vous serez digne du bonheur qui vous attend !

— Jeane…, — reprit Maurice, — si, dans l’ombrageuse délicatesse de ton âme, tu persistes à te reprocher ce que je n’ai pas même à excuser… si tu crois me devoir une réparation… tu peux m’en accorder une… la plus chère… la plus précieuse de toutes !

— Laquelle ? — demanda la jeune fille tenant dans ses mains les mains de son fiancé toujours agenouillé devant elle, la contemplant avec ivresse ; quelle réparation puis-je t’accorder, mon Maurice ?

— Joins-toi à moi pour prier mon père et ma mère de hâter le moment de notre mariage.

— Ah ! tu dis vrai, et je le sens maintenant… je n’ai pas été