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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/181

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San-Privato lançant un regard significatif au père de Jeane, — j’ose espérer, monsieur, que vous voudrez bien ne plus m’interrompre et me laisser répondre aux graves accusations dont je suis l’objet de la part de mademoiselle Jeane.

Un moment de silence succéda aux dernières paroles de San-Privato ; leur sens caché disait nettement à Delmare : « Je vous ordonne de me laisser à mon gré filtrer mon venin et empoisonner le cœur des deux fiancés, en ce moment pleins d’une heureuse confiance dans l’avenir, et rassurés sur le passé, grâce à la loyauté des aveux de Jeane ; or, si vous gênez nos maléfices, si vous tentez de réparer ou d’atténuer le mal que je vais faire, je vous sépare à jamais de votre fille en révélant à M. Dumirail que, sous le faux nom de Wagner, vous avez tué son frère en duel. »

Devant une pareille menace, que pouvait faire Charles Delmare ? Se résigner à devenir, par son silence forcé, presque le complice des noires machinations de San-Privato envers Jeane et Maurice, complétement certains, d’ailleurs, de l’honorabilité de leur ami, soupçonnant vaguement, selon les prévisions d’Albert, que le secret dont il était en possession se rattachait à quelque terrible duel de Charles Delmare.

San-Privato, certain de la neutralité du père de Jeane, reprit :

— Avant de continuer notre entretien, je crois, et M. Delmare sera sans doute de mon avis, je crois, dis-je, devoir faire observer à mon cousin et à ma cousine qu’il n’est pas nécessaire d’instruire mon oncle et ma tante de ce qui vient de se passer entre nous, relativement au secret dont le hasard m’a rendu maître… secret qui, je ne saurais trop le répéter… n’entache, en quoi que ce soit, l’honneur de M. Charles Delmare.

— Nous ne songions pas plus à instruire mon père et ma mère de cet incident que du malheur qui a failli arriver près de la grotte de Treserve, — répondit sèchement Maurice à son cousin ; — c’eût été inutilement attrister nos parents ; n’est-ce pas ton avis, Jeane, et le vôtre, cher maître ?

— Certainement, dit Jeane, tandis que son père répondait par un signe de tête affirmatif.

Puis la jeune fille, ressentant, ainsi que son fiancé, une vague appréhension de l’entretien que San-Privato s’opiniâtrait à poursuivre, ajouta, en se remettant en marche à travers les prairies qui conduisaient au chalet :

— Le soleil va bientôt se coucher ; mon oncle et ma tante doivent être inquiets de notre absence prolongée ; hâtons le pas pour les rejoindre.