Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/185

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— Il m’a semblé que, contrairement à votre opinion et à la vôtre, mademoiselle Jeane, vous devriez peut-être écouter les explications que désire vous donner M. San-Privato, — répondit avec effort Charles Delmare ; — quels que soient vos justes griefs contre votre cousin, vous pourriez du moins entendre la justification qu’il veut tenter.

Les deux fiancés regardèrent Charles Delmare avec une extrême surprise, et Jeane dit vivement :

— Comment, cher maître, vous nous conseillez de renouer un entretien si pénible pour nous à tant de titres ?

— Oui, mes enfants… je vous le conseille.

— Mais, cher maître, — ajouta Maurice non moins étonné que Jeane, — vous le savez aussi bien que nous, il est impossible à notre cousin de justifier sa perfidie, sa méchanceté à notre égard.

— Sans doute…, — répondit Charles Delmare, de qui la torture allait croissant ; — mais les plus grands coupables ont le droit d’essayer de prouver leur innocence.

— L’innocence de M. San-Privato ? — reprit amèrement Maurice. — Est-ce bien sérieusement que vous nous parlez, cher maître ? Vous savez la cause de notre invincible répugnance à reprendre un entretien qui peut…

― Maurice, — dit Jeane interrompant son fiancé, — n’oublions pas que nous avons toujours tiré profit des excellents avis de notre ami ; il doit, en cette circonstance, agir encore dans nos intérêts… écoutons-le donc.

— Soit ! — dit tristement Maurice. — Puisse notre cher maître ne pas se tromper cette fois dans le conseil qu’il nous donne.

— Soyez assurée, mademoiselle, que je n’abuserai pas longtemps de votre attention, — dit d’un ton contenu San-Privato s’adressant à la jeune fille. — J’ose seulement réclamer de vous la grâce de n’être pas interrompu, et j’espère que votre ami, M. Delmare, — ajouta San-Privato jetant un coup d’œil significatif au père de Jeane, — voudra bien se joindre à moi, afin d’obtenir de vous la faveur que je sollicite ?

— En effet, — reprit Charles Delmare obéissant à l’injonction du jeune diplomate, — par cela même que cet entretien est pénible pour vous, chère demoiselle Jeane, le seul moyen de l’abréger est de lui laisser son libre cours.

— Ni moi ni Maurice n’avons, à Dieu ne plaise ! le désir de changer en discussion ce que M. San-Privato a la singulière outrecuidance d’appeler sa justification, — dit Jeane ; — nous nous résignons à l’entendre, uniquement par déférence pour vos avis,