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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/191

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amour… qui maintenant durera autant que ma vie, si longue qu’elle puisse être… lorsque cet aveu a, malgré moi, monté de mon cœur à mes lèvres, je me croyais sauvé… dites-vous, Jeane ? Je jouais alors, n’est-ce pas, une lâche, une infâme comédie ?… Qu’en savez-vous pourtant, dites, vous, si loyale ? qu’en savez-vous… dites, Jeane, vous si généreuse ?… D’une telle indignité m’accuser, moi, mon Dieu ! Mais la preuve… la preuve ? Comment avez-vous pénétré le fond de ma pensée, à cette heure où, éperdue, bouleversée, vos forces trahissaient votre courage, qui, seul, m’avait jusqu’alors soutenu au-dessus de l’abîme, à cette heure où je sentais que votre faible soutien allait me manquer ? Oh ! alors… oui… en ce moment suprême… cela, je ne le nie pas… et cela est affreux à dire… oui, quand je me suis vu perdu, perdu sans retour… j’ai voulu vous entraîner avec moi et mourir avec vous… Ce baiser ravi à votre bouche m’avait enivré… Ce que je ressentais, voyez-vous, Jeane, aucun langage humain ne pourra jamais l’exprimer ! L’exaltation de l’amour… une volupté céleste… la jalousie, la haine me rendaient fou… j’avais entrevu le ciel !… Un moment vous m’aviez préféré !… Je vous avais dit : « Je t’aime ! » nos lèvres s’étaient rencontrées… Que me restait-il ? À mourir avec vous !… Mort chérie ! mort ineffable ! tous deux enlacés, emportés dans l’espace !… Ah ! je l’aurais payé au prix d’une longue vie, ce divin bonheur de vous tenir embrassée cœur contre cœur… pendant l’insaisissable durée de notre chute, plus rapide que l’éclair… Puis, de nos corps brisés, nos âmes s’exhalaient ensemble… et ensemble remontaient vers Dieu, désormais unies pour l’éternité !

Nous renonçons à rendre l’accent entraînant des paroles de San-Privato, nous renonçons à peindre l’ardeur de son regard, l’enivrante volupté de son sourire, en parlant de ce baiser surpris aux chastes lèvres de Jeane, et de cet embrassement suprême, cœur contre cœur, à travers l’espace ! Que dirons-nous enfin ?… Telle fut la séduction, la magie de la voix, de la physionomie, du regard de ce fourbe, que Charles Delmare, Maurice et Jeane, subissant une sorte de fascination, n’eurent ni le vouloir ni le courage de la secouer en interrompant San-Privato.

Charles Delmare domina le premier cette funeste obsession. N’ayant pas quitté sa fille des yeux, il l’avait vue, d’abord dédaigneuse, puis irritée de l’audace des aveux réitérés de San-Privato, pâlir, trembler, rougir, et, le sein palpitant, le regard troublé, subir peu à peu, et plus dangereusement que jamais, le charme pernicieux de cet homme. Aussi Charles Delmare, sans réfléchir