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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/213

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que tout, il faut bien qu’à ses yeux ces présages soient fondés sur quelque chose. Aussi, je te crois ; mais que veux-tu que je te dise !… Je suis comme au temps de mon catéchisme… je crois en aveugle… sans rien comprendre… parce qu’enfin… Jeane…

— Tiens !… je vais te faire un aveu dont je suis épouvanté… un aveu… qu’à toi seule au monde j’ose et je peux faire… car, vois-tu, nourrice, à chacun des mots que tu vas entendre, je souffrirai autant… je souffrirai plus que si un coup de poignard me frappait en plein cœur.

— Que vas-tu donc m’apprendre, mon Dieu ?… Je n’ai pas une goutte de sang dans les veines.

— Tel que je te l’ai dépeint, San-Privato, n’est-ce pas… est un infâme ?

— Tu me le demandes ?

— Eh bien ! cet infâme…

— Achève…

— Misère de moi !… misère de moi !…

— Charles, tu me fais peur…

— Ma fille l’aime !

— Hein !… ta fille… elle aime ?… qui ?… qui cela aime-t-elle… ta fille ?

— San-Privato.

— Miséricorde ! — murmure Geneviève abasourdie, frissonnant et pâlissant.

Puis, secouant la tête comme une personne qui se réveille en sursaut, elle reprend, cherchant à se rassurer par une supposition dont elle reconnaît presque l’absurdité :

— Pour sûr, la fatigue m’aura engourdie. Dame, il est si tard… une heure du matin… et puis, sans m’en apercevoir, je me serai endormie ; c’est ça, pour sûr, mon Charles ; il y a un moment, je sommeillais, n’est-ce pas ? et j’aurai rêvé que tu me parlais de ta fille, me disant qu’elle aimait… ce… ce… enfin, tu sais… cet homme !

— Je l’ai dit, nourrice, je l’ai dit…

— C’est donc vrai !… je ne rêvais pas ! Bonté divine, j’avais bien entendu !

Et, l’esprit troublé par cette incroyable révélation, la nourrice balbutie :

— Faut m’excuser, mon Charles ; ma pauvre vieille tête n’était pas déjà très-forte, je crois qu’elle déménage tout à fait… J’ai des éblouissements, je ne vois plus clair dans mon idée. C’est ma faute, à coup sûr… et non la tienne. Mais enfin, tout à l’heure…