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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/267

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sentit presque touché de l’expression loyale et candide de son mâle et doux visage, tandis que madame de Hansfeld, toisant l’ingénu d’un coup d’œil rapide, pénétrant et sûr, souriait d’un air de satisfaction cruelle.

Ces divers incidents de l’introduction de Maurice auprès de madame de Hansfeld, incidents qu’il nous faut si longuement décrire, se produisirent presque instantanément ; car, au bout de quelques secondes à peine, Maurice eut d’autant plus conscience de son ridicule embarras, que, dans le premier éblouissement, causé par l’aspect du boudoir et de la personne d’Antoinette, il n’avait pas remarqué la présence de M. d’Otremont. La crainte de prêter à rire à un étranger rappelant Maurice à lui-même, son amour-propre, sa fierté se révoltèrent. Il fit un violent effort sur lui-même, salua madame de Hansfeld le plus gauchement du monde, sans bouger du seuil de la porte, et dit d’une voix strangulée par la confusion :

— Madame la baronne, j’ai reçu la lettre que… que… vous… je… je…

Mais la parole expira sur les lèvres de Maurice, suffoqué par la timidité ; le ressentiment d’une humiliation atroce poigna son cœur ; il sentit avec effroi des larmes de honte lui monter aux yeux, et il se dit, avec une amère désespérance :

— Ô mes montagnes, mes pauvres montagnes, pourquoi vous ai-je quittées !…

Soudain, madame de Hansfeld se leva, s’approcha de Maurice, le prit par la main, et lui dit avec un doux sourire et une cordialité charmante en l’amenant vers le divan, où elle le fit asseoir près d’elle :

— Permettez-moi, mon cher monsieur Maurice, de vous traiter en ancienne connaissance ; car, quoique j’aie le plaisir de vous voir aujourd’hui pour la première fois, nous ne sommes pas aussi étrangers l’un à l’autre que vous pourriez le croire. Je comprends à merveille qu’un intrépide chasseur de chamois, quittant pour la première fois ses bois et ses rochers, se sente un peu dépaysé dans notre Paris ; mais je tiens à vous prouver, mon cher monsieur Maurice, qu’à Paris même l’on rencontre autant de franchise et de bienveillance que dans vos belles montagnes, et qu’ici nous savons apprécier les gens de cœur, vinssent-ils du fond du Jura. M. d’Otremont, l’un de mes amis, que j’ai l’honneur de vous présenter, partage mon opinion, — ajouta madame de Hansfeld, jetant un regard significatif à Richard ; — il tâchera, ainsi que moi,