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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/274

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— Oh ! combien j’ai de choses à vous raconter, cher monsieur Maurice !… Et, d’abord, j’ai des excuses à vous demander.

— À moi, madame ?

— La communication que j’ai à vous faire, et pour laquelle je vous ai écrit, quoique existant réellement, n’était qu’un prétexte pour vous prier de passer chez moi, afin de pouvoir vous dire que vous m’intéressez extrêmement… Me pardonnez-vous ma ruse innocente en faveur du motif qui m’a guidée ?

— Sans doute, madame… Mais, de grâce, d’où me connaissez-vous, et en quoi ai-je pu mériter… ?

— L’intérêt que vous m’inspirez ?

— Oui, madame.

— C’est que je vous connais…

— Moi… madame ?

— Je vous connais beaucoup, mais moralement, s’entend, car je vous vois aujourd’hui pour la première fois, et votre personne répond merveilleusement à l’idée que je m’en étais faite. Cette espèce de divination du physique par le moral vous étonne ? Rien de plus simple cependant. Voici mon procédé : il s’agit, je suppose… non… ce n’est pas une supposition, cela est… il s’agit donc d’un jeune homme d’un noble et vaillant cœur, d’un esprit élevé, d’une âme candide, délicate et sensible, d’une loyauté chevaleresque, d’un courage à toute épreuve, d’un caractère énergique. Maintenant, d’après cette connaissance approfondie du moral de notre héros, il faut se représenter l’aspect de ses traits, que l’on ignore ; que doit-on faire afin de réussir à se le figurer ? Donner autant que possible à ses traits la mâle et douce beauté de son âme. Ainsi ai-je fait… et je vous trouve très-ressemblant au portrait que j’ai rêvé, tant de fois rêvé, en songeant à vous, alors que je ne vous connaissais pas… Maurice. Excusez-moi de vous appeler ainsi familièrement… Je trouve insupportable, entre amis, ce vocabulaire de cher monsieur, chère madame ; souffrez donc que je vous appelle Maurice ; vous m’appellerez Antoinette. Est-ce convenu ?

— Madame, — balbutia l’ingénu, — le respect… je…

— Eh bien ! que voulez-vous ? j’aurai en ceci le malheur, moi, de vous manquer de respect, — reprit madame de Hansfeld avec un sourire enchanteur. — Je me permettrai de vous appeler très-irrévérencieusement Maurice, parfois même mon cher Maurice… Vous pourrez, il est vrai, vous venger de mon irrévérence en m’appelant Antoinette, votre chère Antoinette.

— Je n’oserai jamais, madame… me…