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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/302

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Et, regardant la pendule, madame Dumirail ajouta :

— Déjà six heures ! mon fils ne peut maintenant tarder de rentrer. Certes, — reprit-elle, — je vois notre séjour à Paris avec une certaine appréhension ; mais par cela même, chère enfant, que les circonstances sont graves, sont difficiles, nous ne devons pas nous laisser abattre ; peut-être, après tout, le mal sera-t-il moins grand que je ne le craignais.M. de Morainville, je te l’ai dit, nous a hier accueillis, Maurice et moi, de la manière la plus aimable ; grâce à sa protection et à celle de ses amis, mon fils, sans aller à l’École de droit, ce que je redoutais surtout à cause des connaissances qu’il aurait pu faire là, mon fils, ensuite d’un stage d’un an dans les bureaux du ministère des affaires étrangères, sera nommé attaché d’ambassade ; c’est donc seulement une année à passer ; après quoi, nous partirons tous ensemble pour le pays dans lequel il devra résider ; d’ici là, moi et mon mari, qui va bientôt venir nous rejoindre, nous veillerons sur Maurice avec un redoublement de tendre sollicitude et de vigilance. Ce qu’il y a de plus à craindre, dit-on, à Paris, ce sont les mauvaises liaisons ; or, mon fils, n’allant pas à l’École de droit, doit échapper à ce danger ; il ne connaît personne ici ; son temps sera partagé entre son bureau, où il restera jusqu’à cinq heures, et nous autres qui le gardons avec nous jusqu’au moment de son coucher ; il n’aura donc ni le loisir, ni l’occasion, ni le goût de se lier avec personne ; notre affection lui suffira. Je te l’atteste, chère enfant. Il nous aime tant ! ses habitudes sont comme les nôtres, si simples !

— Puisse-t-il, ma tante, conserver cette simplicité !

— D’où te vient ce doute ?

— Vous allez trouver cette observation ridicule ; mais, ce matin, lorsqu’en présence de Maurice, vous avez demandé au maître de cet hôtel l’adresse d’un modeste tailleur, qui songeât moins à la mode qu’à donner de bonnes fournitures, Maurice a paru contrarié, il vous a répondu qu’il ne voulait plus être vêtu comme un provincial.

— C’est un enfantillage.

— Enfin, hier, à chaque instant, aux Champs-Élysées, il s’écriait, l’œil brillant d’admiration et d’envie : « Jeane, vois donc le bel attelage, la belle calèche… et ces jeunes gens à cheval, quelle tournure élégante !… sont-ils heureux !… sont-ils heureux !… »

— Mon Dieu, mon enfant, je suis la première à reconnaître maintenant, et plus que jamais la vérité de ces paroles de notre ami M. Delmare : « Maurice est une de ces organisations arden-