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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/325

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de ses factures, n’a pu évidemment nous recommander que quelqu’un de très-solvable ?

— Certainement, et, d’ailleurs, M. d’Otremont m’a fait dire par son valet de chambre que je pouvais en toute sécurité livrer mes fournitures à notre client, qui est un fils de famille.

— Or, un fils de famille recommandé, peut-être même lancé par M. d’Otremont, est une pratique sérieuse.

— Surtout lorsque ladite pratique est encore à ses débuts, ainsi que le jeune homme chez qui nous sommes ; les fils de famille soldent toujours exactement leurs factures tant qu’ils sont à leur aurore.

— À leur aurore… est très-joli !

— Ah çà ! messieurs, en attendant M. Maurice Dumirail, si nous faisions une exposition de l’industrie en miniature. Il n’aurait plus qu’à choisir parmi les objets que nous lui apportons.

— C’est une bonne idée.

— Ce sera un véritable petit bazar.

Les marchands se mirent à l’œuvre, et à l’envi étalèrent, ainsi qu’ils disaient, leurs articles. Ici, des chemises de batiste brodée à cinquante louis la douzaine, un choix ravissant de cravates de fantaisie ; plus loin, des nécessaires de toilette en argent et en vermeil ; ailleurs, des montres et leurs chaînes garnies de pierres dures, des boutons de gilet et des épingles de cravate en perles, en rubis, en émeraudes, entourées de brillants ; des cannes de soirée ornées de pommes en onyx, en lapis-lazuli ou en émail rehaussé de pierreries, des cravaches montées en or ciselé ; enfin, tous ces produits de l’industrie de luxe, et d’autres encore, furent groupés, mis en valeur avec cet art séducteur de l’étalage, cette science d’exhibition particulière aux marchands parisiens.

Pendant qu’ils s’occupaient de disposer ainsi leur exposition improvisée, on entendit dans la rue le piaffement impatient de chevaux que l’on promenait, et l’un des exposants, s’étant approché de la fenêtre, aperçut deux charmants hacks[1] de pur sang ; un bai doré, l’autre noir zain, enveloppés de leurs couvertures et de leurs camails, tenus en main par deux palefreniers ; M. Moïse, l’un des plus célèbres maquignons des Champs-Élysées, descendait en même temps de son tilbury ; bientôt il rejoignit les fournisseurs dans l’appartement de l’entre-sol, et, remarquant leur exposition, il leur dit gaiement :

  1. Chevaux de promenade.