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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/328

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remplis d’anxiété, longtemps elle l’attendit. Elle le vit enfin descendre d’un fiacre qui s’arrêta devant l’hôtel. Soulagée du poids de ses appréhensions par la présence de son fils, elle oublia d’abord ses justes griefs contre lui. Puis, songeant qu’en une circonstance si grave l’indulgence serait coupable et d’un funeste précédent, madame Dumirail résolut de l’accueillir avec une sévérité méritée. Cependant, ne le voyant pas paraître et envoyant Josette s’enquérir de lui, elle apprit ainsi qu’il était occupé à recevoir divers fournisseurs dans la chambre de l’appartement restée jusqu’alors inoccupée.

Madame Dumirail ouvrit la porte de communication donnant dans son salon, apparut soudain aux yeux de son fils et aperçut, disposés sur les meubles, les produits de l’industrie des marchands.

Maurice, à l’aspect de sa mère, tressaillit ; son cœur se serra, ses sentiments habituels de tendresse et de déférence filiale reprirent d’abord sur lui leur empire, et, confus, attristé, il baissa les yeux, n’osant s’approcher de madame Dumirail. Celle-ci, s’adressant vivement aux fournisseurs d’un ton de reproche :

— Il n’est pas honnête à vous, messieurs, de venir provoquer un jeune homme à de folles dépenses, d’abuser ainsi de sa faiblesse et de son inexpérience ! Allez, messieurs, vous devriez rougir de votre conduite !

— Madame, — reprit l’un des marchands, blessé des reproches de madame Dumirail, — apprenez que nous ne sommes pas de ceux-là qui abusent de la confiance des jeunes gens.

— Nous sommes d’honorables commerçants, madame.

— Si nous sommes venus ici, c’est que l’on nous y a envoyés, — reprit un autre fournisseur, tandis que Maurice, devenant pourpre de honte et de colère, accusait intérieurement sa mère de le placer dans une situation aussi humiliante que ridicule.

— Et qui donc, messieurs, s’est permis de vous envoyer ici ? — demanda madame Dumirail avec une animation croissante ; — qui donc ose ainsi pousser mon fils à des achats qu’il est hors d’état de payer ?

— Nous nous sommes présentés ici, madame, à la recommandation de l’un de nos plus respectables clients, M. le vicomte Richard d’Otremont.

— Et moi, — ajouta brusquement le marchand de chevaux, — c’est à la recommandation de madame la baronne de Hansfeld que j’ai conduit ici les deux plus beaux chevaux de mon écurie.

— Quoi ! — s’écria madame Dumirail indignée, — vous n’avez