Aller au contenu

Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/335

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Répondez : avant-hier, la connaissiez-vous, cette madame de Hansfeld ?

— Non sans doute.

— Et d’où sortez-vous ce matin ?

— Ma mère, je…

— Je vous demande d’où vous sortez ce matin, mon fils ?

— Je ne saurais… vous… je…

— Vous sortez de chez cette femme, osez le nier !… Non, non, votre silence est un aveu. Ainsi, avant-hier, cette femme vous était inconnue, et, ce matin, vous quittez sa demeure. Peut-on pousser plus loin le cynisme de la corruption, l’audace des mauvaises mœurs ?

Maurice, atterré par ces dernières paroles, baissa la tête, et, pour la première fois, malgré son inexpérience, il réfléchit à l’étrange facilité de sa conquête.

Madame Dumirail, guidée par son bon sens, poursuivit ainsi :

— Oh ! je le sais, cette femme est riche, titrée ; il n’importe ! car, je vous défie de sortir de cette odieuse alternative, ou bien cette créature, en se livrant ainsi à vous, se montre profondément méprisable, ou bien elle veut, dans je ne sais quel méchant dessein, faire de vous son jouet, sa victime peut-être ! Ah ! l’instinct de ma tendresse pour vous ne me trompe pas, malheureux enfant ! Oui, oui… ou vous êtes épris d’une femme aussi éhontée que la plus vile des courtisanes, ou vous êtes la dupe de quelque dangereuse machination !

Un éclair de raison se fit jour à travers le trouble de l’esprit de Maurice ; sa candeur égalait encore sa modestie ; frappé du dilemme de sa mère, il se demanda de nouveau, non plus avec curiosité, mais avec une sorte de crainte, comment, en effet, une femme telle que madame de Hansfeld avait pu tomber subitement amoureuse de lui, rustique campagnard. Il se souvint du refus opiniâtre qu’elle lui avait opposé lorsqu’il lui demandait d’expliquer par quel moyen elle se trouvait si exactement informée de ce qui le concernait. Antoinette lui inspira donc, pour la première fois, un vague sentiment de défiance et d’appréhension ; puis, durant ce retour passager à la raison, il songeait à ces projets d’achat aux fournisseurs, à ces chevaux, à ces domestiques et autres ruineuses dépenses auxquelles l’engageait madame de Hansfeld, sous prétexte de nécessaire, et qu’il devait solder grâce à son emprunt usuraire, remboursable à la mort de son père.

Ces pensées diverses, ces regrets, ces frayeurs, joints à l’influence maternelle pendant si longtemps toute-puissante sur Mau-