Aller au contenu

Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/34

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

levé depuis trois heures du matin… repose-toi donc pendant un instant !

Mais l’impétueux jeune homme, sourd aux remontrances de sa mère, redoublait l’activité générale par son exemple, et répondait à madame Dumirail :

— Mère, il faut qu’avant la pluie le foin soit rentré… Il le sera, je le veux.

En prononçant ces mots : « Je le veux, » l’accent de Maurice accusait une telle énergie de volonté, que, renonçant à modérer la fougue de son fils, dont elle connaissait le caractère, madame Dumirail ne renouvela plus ses observations.

Jeane, malgré son bon vouloir, cédant à la fatigue, elle, revint auprès de M. et madame Dumirail, en s’appuyant sur le manche de son râteau d’une main, et de l’autre comprimant les battements de son sein. Elle était ainsi ravissante de grâce et de beauté candide ; son grand chapeau de paille jetait son ombre transparente sur son front d’ivoire, encadré des bandeaux dorés de sa chevelure blonde, et voilait à demi l’éclat de ses grands yeux bleus, animés par l’activité fébrile d’un labeur entrepris sans consulter ses forces ; mais un oblique rayon de soleil perçant les nuages et se projetant sur la partie inférieure de la jeune fille, tandis que son front restait dans l’ombre, éclairait de sa lumière dorée ses joues fraîches et pures, son nez délicat, aux narines roses, sa bouche vermeille, son menton à fossette et la naissance de son col élégant. La taille élancée, svelte, nerveuse de Jeane, au-dessus de la moyenne stature des femmes, admirablement développée par des courses quotidiennes dans la montagne, offrait de rares perfections, et se révélait souple, libre, charmante sous les plis flottants d’une robe à mille raies bleues et blanches, simplement coupée en blouse et serrée à son corsage par une ceinture de maroquin noir ; son petit pied étroit, cambré, chaussé de bottines à semelles assez épaisses pour braver les aspérités du roc, était non moins accompli que sa main aux doigts effilés, un peu brunie par le hâle, ainsi que son teint, aussi diaphane que celui d’un enfant.

— Ah ! chère tante, — dit gaiement, et d’une voix un peu étouffée, Jeane à madame Dumirail, en se rapprochant d’elle, — est-il heureux, ce Maurice ! Sa fourche ne lui pèse pas plus maintenant qu’il y a deux heures… et moi… je l’avoue… je sens mes forces à bout…

— Aussi te répété-je, mon enfant, qu’en prolongeant cet amu-