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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/342

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reconnais maintenant, j’ai été, au Morillon, injuste, dure, cruelle à votre égard ; je veux obtenir de vous le pardon de tant d’iniquités ; vous viendrez nous voir souvent, n’est-ce pas ? bien souvent, afin que Maurice vous rencontre… il sera furieux !

— Je me garderai bien, au contraire, ma chère Jeane, de vous faire de fréquentes visites.

— Pourquoi cela ?

— Parce que je désire éviter autant que possible les occasions de me rapprocher de vous, trop dangereuse cousine…

— C’est peu galant.

— Mais c’est fort sage… à quoi bon vous voir ? À réveiller en moi une passion absurde, folle, dont je suis parvenu à grand’peine à triompher ?

— Vraiment… déjà ?…

— Oui, Jeane.

— C’est bien prompt, cher cousin. J’ai du malheur ; j’aurai été oubliée par vous presque aussitôt que par Maurice.

— Que voulez-vous ! je n’ai pas l’habitude de me heurter longtemps aux impossibilités. La douleur du premier choc me rappelle à moi-même.

— Ainsi, cette passion irrésistible, fatale, qui, disiez-vous, ne devait finir qu’avec votre vie… ?

— De cette passion, ma chère Jeane, le bon sens a eu raison. La mémoire de ce que j’ai souffert me préservera de souffrances nouvelles.

— Certaines souffrances sont, cependant, dit-on, parfois fécondes, mon cher cousin… elles peuvent éveiller la compassion dans les âmes généreuses.

— Être aimé par pitié me semble le comble de l’humiliation.

— Et être aimé par vengeance ?

— Je n’ai, ma cousine, à me venger de personne.

— Pas même de Maurice ?…

— Il vous méconnaît, Jeane, il dédaigne un trésor ; je suis assez vengé.

— Vous êtes véritablement un modèle de charité évangélique mon cousin ; vous pratiquez, avec une humilité toute chrétienne, l’oubli des plus sanglants outrages, — reprit Jeane avec amertume.

Puis, s’efforçant de prendre un accent de coquetterie provocante :

— Je vous croyais plus audacieux ; certains souvenirs que je devrais fuir au lieu de me les rappeler trop complaisamment,