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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/344

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LXXI

Madame Dumirail se laissa tomber presque anéantie dans un fauteuil, et, continuant de pleurer, murmura d’une voix presque défaillante :

— En vain j’ai suivi mon fils jusque dans la rue, en vain je l’ai supplié de m’écouter, il a disparu. Il est maintenant perdu pour moi, à jamais perdu ! Il va de nouveau subir l’empire de cette indigne créature.

— Ma tante, dit Jeane touchée de l’affliction de madame Dumirail ! et se rapprochant d’elle, de grâce, calmez-vous, croyez à mon dévouement, à ma tendresse.

— Laissez-moi !… c’est votre faute, à vous, s’il a renoncé au projet de quitter Paris ! c’est votre faute, à vous, s’il est perdu ! — s’écria madame Dumirail exaspérée jusqu’à l’injustice par le désespoir, et repoussant Jeane d’un geste courroucé. — Mon fils était revenu complétement à moi ; vous paraissez… vous parlez, il m’échappe. Ah ! quelle fatale influence est donc la vôtre ? C’est depuis que mon malheureux enfant a songé à vous épouser que nos chagrins ont commencé. Et pourtant, nous vous avons toujours traitée comme notre propre fille ! Est-ce là, grand Dieu, la récompense qui nous était réservée !

— Ma tante, oh ! ma tante ! — s’écria Jeane, pâle et frémissante de douleur et d’indignation, — voilà de cruelles paroles, jamais je ne…

La jeune fille n’acheva pas ; les sanglots la suffoquèrent. En vain son indomptable fierté se révoltait contre les larmes que lui arrachaient les reproches injustes et humiliants que lui adressait madame Dumirail ; et, aigrie, ulcérée par la douleur, elle cacha sa figure dans son mouchoir, tandis que San-Privato, tressaillant d’une joie sinistre en remarquant ce premier germe de discorde semé entre madame Dumirail et sa nièce, s’empressa de lui dire d’une voix doucereuse :

— Ma chère cousine, ne vous affligez point ainsi sans raison ;